THEME : LIBREVILLE, UNE PAGE OUVERTE SUR L’AMERIQUE LATINE: Discours révisionniste historique et idéologique; état des recherches.
L’historiographie africaine souligne l’année 1850 pour indiquer la naissance de Libreville, naissance occasionnée par la capture par les Français d’un négrier remplis d’esclaves qu’ils décident de libérer et de regrouper dans un village.
En remontant l’histoire, le lecteur notera qu’ayant été découvert en 1472, le Gabon devient un véritable pourvoyeur d’esclaves précisément au XVI siècle. Du Congo à la province de La Nyanga, hommes, femmes et enfants sont embarqués pour travailler dans des plantations de cannes à sucre de Sao Tomé dans un premier temps, et dans les Amériques plus tard.
Ce sont ici des faits qui attestent et légitiment l’impact et les enjeux de la traite négrière, de l’esclavage transatlantique et de leurs résurgences en ce qui concerne Le Gabon et particulièrement Libreville.
Dans cet espace qui nous est donné aujourd’hui grâce au Premier salon du livre gabonais de Paris, nous nous proposons de récapituler les discours révisionnistes historique et idéologique des américanistes gabonais depuis 1994.
REVISIONNISME HISTORIQUE
En effet, 1994 est une année qui marque un nouveau départ dans la prise en compte de l’Autre et de son intégration, dans la redéfinition de l’articulation des cultures mises ensembles, dans les nouvelles mesures à prendre pour un mieux vivre ensemble. On fait allusion au « village planétaire », car comme le soutient Philippe DUVAL dans Le Choc des cultures que ce ne sont pas les cultures qui se rencontrent mais leurs porteurs ; et de leur dynamisme résultent les échanges, les syncrétismes.
C’est en 1994, sur proposition d’Haïti et des pays africains, que l’UNESCO, Institution des Nations Unies pour l’édification de la paix et le dialogue interculturel, lance à OUIDAH au BENIN le projet « La Route de l’esclave ».
Après s’être approprié le projet, au travers du comité mis en place dans chaque Etat membre de la dite Institution, Libreville, capital de l’Etat gabonais, a brisé le silence sur son implication quant à la traite négrière et l’esclavage transatlantique. A partir de cet instant, l’on assiste à un certain révisionnisme de la part des historiens, des anthropologues, des linguistes pour ne citer qu’eux. Le révisionnisme est défini chez des historiens comme un terme qui désigne une démarche critique consistant à réviser de manière rationnelle, certaines opinions couramment admises en histoire. Le révisionnisme se fonde sur un apport d’informations nouvelles, un réexamen de sources et propose une nouvelle interprétation, une réécriture de l’histoire.
Aidé du révisionnisme, les acteurs c'est-à-dire des chercheurs, des universitaires vont étudier la question de traite négrière et de l’esclavage transatlantique sous deux volets :
Le premier volet, Libreville et dans ce cas nous parlerons de combler les blancs de l’histoire ; le deuxième volet est l’Amérique latine et là il s’agit de réécrire l’histoire.
L’historiographie de la traite négrière et de l’esclavage transatlantique a été écrite dans un premier temps par des explorateurs, des missionnaires, des historiens et anthropologues. Ce sont des Européens qui ne connaissent pas l’Afrique dans son étendue, encore moins dans la diversité de ses habitants. Ils sont emplis des mentalités racistes de l’époque qui fondent des représentations sociales et culturelles de tout ce qui n’était pas blanc (nom et adjectif). Nous convoquons à cet effet Victorien LAVOU ZOUNGBO dans son Du Migrant nu au citoyen différé :
« Pour les mentalités de l’époque les Noirs étaient naturellement voués à être des esclaves ; dans tous les cas, ils étaient réputés être plus solides et surtout aptes à affronter positivement les pires conditions climatiques (soleil brûlant, paludisme, miasmes, dysenterie) qui sévissaient dans les Antilles mais aussi ailleurs dans les Amériques ».(p58)
A cause de la méconnaissance ou de l’inconnaissance de l’Afrique, les Portugais et les Espagnols n’ont pas su rendre les différentes origines des esclaves et ont pratiqué en Afrique centrale un phénomène de gel. Bien localisés et bien présentés sont les esclaves originaires du Nigéria. D’ailleurs une abondante documentation les accompagne, faisant d’eux des individus plus civilisés que ceux qui venaient du Golfe de Guinée et particulièrement du Kongo. Pour les Européens, tous les esclaves qui viennent du Cameroun, du Gabon et même d’ailleurs en Afrique centrale, du moment qu’ils sont embarqués depuis le port du Kongo sont identifiés comme étant du Kongo. De là se note la quasi inexistence des études sur les bantou. Avec le projet « la route de l’esclave », qui retrace comme son intitulé l’indique, la route suivie par l’esclave nègre, depuis son champ jusque dans les Amériques, le lecteur d’aujourd’hui peut clairement s’instruire de la transformation de l’esclavage local en une traite négrière et en un esclavage transatlantique. Les recherches informent également sur l’influence des esclaves bantou dans des domaines tels que la vie sociale et surtout dans des stratégies de défense, en quelque sorte il s’agit là de transfert des savoirs en Amérique latine. Sur Libreville, principal lieu de la traite et de l’esclavage au Gabon, des collectes de témoignages oraux, des récits, des proverbes et même des charades ont été consignés et portés à la connaissance du grand public. C’est dans ce contexte que parait en juin 2003 un ouvrage dont le titre est Tradition orale liée à la traite négrière et à l’esclavage en Afrique centrale, sous la direction de Jérôme Tangu KWENZI MIKALA. L’ouvrage offre magistralement des méthodes de capture utilisées par les blancs ou les noirs, les procédés magiques utilisés par les esclaves pour se libérer de leurs chaînes et s’enfuir. Cet ouvrage est précédé d’autres qui traitent du même thème.
Ainsi sur le continent africain, jusque là invisible dans l’historiographie de la traite négrière et l’esclavage transatlantique, la Route de l’esclave permet de suivre les itinéraires et de mesurer l’impact de cette tragédie africaine. Les résultats des recherches publiés permettent aux lecteurs gabonais et non gabonais de découvrir toute l’importance et la place de la forêt dans la sorcellerie de cette Afrique. C’est dans la forêt que l’individu trouve des herbes, des écorces et des racines, empreintes de la force des esprits des ancêtres pour la fabrication des fétiches. Une tradition, une représentation et un imaginaire de la forêt qui ne quittera pas les Avant Africains, et donc ils se sont servis pour résister aux conditions inhumaines que leur impose le système de l’esclavage. Ils vont même jusqu’à causer la mort de leurs maîtres.
Sur le continent américain, les acteurs gabonais adoptent une autre méthode. Autant sur le continent africain ils complètent les sources, comblent les blancs de l’histoire ; autant sur celui américain ils font un travail de réécriture dévoilant clairement l’apport social et culturel du bantou. Au vue de toutes ces problématiques actuelles, le concept « Migrant nu » de Edouard GLISSANT, en parlant de l’esclave noir est donc remis en cause. C’est Alain ANSELIN qui met en garde contre le « discours de la nudité culturelle » des esclaves noirs :
« Reste enfin le discours de la « nudité culturelle ». Malgré les conditions d’arrachement et de déchirement social et culturel, l’africain n’est pas arrivé « nu » en Amérique comme l’avance parfois la littérature. Ce serait voir dans « les populations serviles » une « masse amorphe et indifférenciée d’individus » à laquelle seule l’adaptation conformiste ou contestataire à la société esclavagiste pouvait fournir une culture et une histoire. Ce serait faire sien le discours colonial, qui fait de l’homme un bien. La culture c’est justement ce qui reste quand on a tout perdu, particulièrement, pour en avoir été arraché, la société où elle a tout son sens. Les valeurs et les référents que l’on a convoyés seul ou en groupe, n’ont plus de jeu social ou accrocher leurs pratiques. Mais elles demeurent susceptibles de trouver des espaces sociaux où s’exprimer et se transmettre, des espaces de réintégration pour tous ceux qui jour après jour continuèrent d’arriver pendant des siècles voués à la nudité culturelle et promis aux habits neufs d’une société nouvelle et inconnue. »
La fin du XIX siècle et le début du XX marque un tournant symbolique dans la reconnaissance du noir qui devient un sujet du discours. Les intellectuels s’engagent dans la lutte antiraciste, contre des préjugés et contre « el miedo del negro » dans le but d’intégrer ce dernier comme citoyen à part entière dans la formation des nations latino-américaines et antillaises. Dès lors, nous assistons à des études sociologiques, anthropologiques, philosophiques et linguistiques dont le sujet est le noir. Les premières études sont menées sur la religion des afro descendants, suivies de celles sur leur folklore. D’études en études, l’anthropologie arrive à présenter et faire admettre à tous les colonisateurs des mentalités que le noir est un sujet culturel.
Malgré le brassage ou le syncrétisme au travers des siècles des esclavages, l’élément bantou émerge. Il émerge dans la religion, dans le proverbe, dans les noms propres ou ceux des lieux, dans le folklore, dans l’histoire, dans le langage. Mais à plusieurs niveaux, le lecteur notera difficilement qu’il s’agit d’un élément bantou et non yoruba (lucumi), tant les élément bantou et yoruba sont entremêlés et mis ensemble. Cet entremêlement des éléments yoruba et bantou, disons le, est un fait conscient qui relève de toute l’idéologie raciste appliquée à l’intérieur même des esclaves. Des écrivains tels Fernando ORTIZ et Henri DUMONT chantent la supériorité des yorubas. Ils disent d’eux qu’ils sont les plus civilisés de l’Afrique Occidentale, qu’ils ont la religion la plus avancée et la mieux structurée. Ce sont des esclaves les plus intelligents et les plus susceptibles de se civiliser, alors que les Congo sont beaucoup plus adaptables au travail colonial (Stefania CAPONE ; Entre Yoruba et bantou). Le travail des acteurs consiste donc à séparer les éléments, en mettant en évidence l’élément bantou jusque là occulté, donc nié. De par des thèmes de recherches proposés et soutenus, les acteurs rapprochent le continent africain de celui américain qui, de par leur situation géographique sont très éloignés l’un de l’autre, mais très proches par leur réalités historique et socioculturelles.
Dans ce révisionnisme historique, force est de constater que, outre les lieux de discours, le sujet même s’est déplacé. Les lieux de discours ont été pendant des décennies l’Atlantique, l’Europe et les Amériques. Aujourd’hui nous parlons depuis l’Afrique. Et de qui parle t on ? Du Noir ? Du Nègre ? Sans vouloir nous appesantir sur l’histoire de ces deux mots qui en réalité désignent, déterminent et qualifient la couleur de la peau du peuple originaire de l’Afrique subsaharienne avec toute la charge sémantique qui y est contenue; néanmoins ils invitent une interrogation. Lors de la réécriture de l’histoire, les acteurs Africains doivent ils systématiquement remplacer le mot Nègre, très courant et très approprié pour le contexte de l’époque de la traite négrière et l’esclavage transatlantique ? Et si oui, nous débouchons sur une autre problématique. Les Européens ont décidé de l’esclavage des noirs après avoir décrété que ces derniers n’ont ni âme, ni conscience. Ce courant de pensée entraine tout un ensemble de représentations sociales et surtout d’imaginaire racial. Le discours depuis l’Afrique risque de ne pas compléter celui européen ni américain. Les regards ne sont pas les mêmes, ni d’ailleurs les évaluations (sensibilité). Le Nègre a-t-il évolué vers le Noir ? Ou s’est-il assimilé ? Est- il simplement revenu à son point de départ ? Quelle est la représentation de ce dernier dans le discours révisionniste historique depuis l’Afrique ? Et quel est le rôle qui lui est assigné ?
Toutes les interrogations formulées convoquent la relation à l’Autre.
REVISIONNISME IDEOLOGIQUE
La traite négrière et l’esclavage n’est rien d’autre qu’un processus de mixage imprévu, de mélanges imprévisibles d’hommes d’abord, prisonniers dans un espace.
La cohabitation pendant des siècles des catégories sociales est un thème très pensé de nos jours. La réflexion sur le processus a commencé il ya longtemps. Alors comment parler de poétique de la relation ? Comment doit- on intégrer l’Autre si différent de moi et pourtant qui vient de moi ?
Ce sont ici les orientations qui définissent un autre axe de recherche actuel pour lequel les chercheurs et les institutions politiques s’accordent à débattre. Le noir esclave, au contact de l’Européen ou de l’indien a donné naissance à un produit. Cela va sans dire que dans le contexte de la traite négrière et de l’esclavage, ce produit est tout aussi considéré comme un monstre pour les mixophobes pour emprunter le mot au philosophe Vincent CESPEDES qui soutient que le mélange diffère du métissage.
Le métissage, de manière générale, se définit comme un croisement de races, de variétés différentes. Jean-Loup AMSELLE, un des anthropologues qui se sont penchés sur le métissage déclare qu’il est un mélange de sang du point de vue racial. De ce fait il arrive, comme beaucoup d’autres, à la conclusion que le métissage, qu’il soit biologique ou culturel ne peut s’étudier dans un cadre autre que celui racial. A l’exemple de la culture, le métissage est une construction idéologique très controversée.
Le métissage ne serait pas un concept, mais une disposition à penser et à mettre en œuvre une culture faite de pièces et de morceaux empruntés à divers registres, dit Alexis NOUR.
Le métissage est une conséquence de la traite négrière et l’esclavage. Il est empreint de mondialisation et de globalisation et la vision de l’UNESCO est de favoriser l’instauration d’une culture de la paix et de cohésion sociale. Penser les métissages est une des nouvelles orientations thématiques proposées par l’UNESCO pour lutter contre le racisme, la marginalisation, l’exclusion, la stigmatisation sans cesse grandissant aujourd’hui, hérités de la longue histoire de la traite négrière et de l’esclavage. Toutefois nous voyons dans le métissage un état de transition continue et en même temps différé. Le terme en lui même devient très globalisant dans la mesure ou il faudrait également considérer les catégories ethniques croisées de populations gabonaise et ivoirienne, ou burkinabé et sénégalaise par exemple, des villes devenant de plus en plus cosmopolites.
BIBLIOGRAPHIE
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