« Au nom de Dieu le Père, …au nom de l’Esprit saint, lequel envoya le Seigneur Jésus-Christ sur la terre pour la consolidation de ses croyants, je te dis lève-toi, Sara !
Tremblent mes genoux engourdis et tremble mon être tout entier à me savoir l’objet de la première rencontre à mort entre le Dieu d’Israël et la tradition de mon Afrique. »
NNANGA ABAAHA .
Ekomo est constitué de dix récits, ou histoires, ou ce que nous appelons contes eu égard au caractère oral qui structure et qui définit tout récit chez ce peuple fang.
Pour l’usage du mot conte que nous faisons dans cet espace, l’objectif n’est pas de le définir. Cela fait quelques années que nous travaillons sur Les Contes Nègres de Cuba de Lydia CABRERA, une auteure cubaine. Après de nombreuses hypothèses, nous sommes arrivés à la conclusion que la notion de conte porte le caractère particulier de l’espace dans lequel il évolue. Ainsi le conte n’est pas simplement ce récit plaisant de choses le plus souvent imaginaires. Il est d’abord, dans un contexte africain, un récit à caractère oral qui a une signification mythico-rituelle et qui tend à la fois à la réalité et au merveilleux. C’est dans ce sens que Luda SCHNITZER affirme que le conte est influencé par la vie réelle, celle de tous les jours et surtout qu’il est la mémoire d’un peuple.[1]
A ce titre, les récits qui composent Ekomo sont des histoires vécues ou connues, puis relatées par NNANGA ABAAHA, l’héroïne et amie de Maria NSUE ANGUE. Des histoires vécues ou connues qui n’ont pas un temps précis ; ils sont dans le passé et apparaissent comme des souvenirs, ils sont vivaces au présent et ils se projettent dans le futur. C’est la notion du Tout- historique de Edmond CROS qui prend tout son sens, car il n’y a plus de frontières entre le présent, le passé et le futur.
Ekomo ou les contes d’une tragédie annoncée ; une interpellation sur le devenir de la tradition fang équato-guinéenne est une étude qui vise d’une part, et non de manière exhaustive, à rappeler la permanence de la tradition orale dans la littérature postcoloniale de la Guinée Equatoriale et, d’autre part à poser la problématique de la dite tradition orale « qui se laisse enfermée dans les livres »
Pour mener à bien cette étude, nous présenterons les contes contenus dans Ekomo et leur contexte dans une première partie. Dans une deuxième partie, nous analyserons la mort comme une rupture entre l’Afrique d’hier et la Guinée Equatoriale de demain. Enfin, nous nous interrogerons sur la pensée de l’auteure. Etant entendu que nous travaillons sur le texte traduit en français par Françoise HARRACA.
EKOMO : TEXTE ET CONTEXTE
Ekomo, dans sa version originale espagnole, paraît en 1985. Son auteure, Maria NSUE ANGUE est une équato-guinéenne de culture fang. Les fang sont un peuple, un groupe ethnique établit après de longues migrations en Guinée Equatoriale, au Cameroun, au Gabon et au Congo.
Les années 80 marquent l’histoire sociopolitique et culturelle de la Guinée équatoriale, un pays d’Afrique central et ancienne colonie espagnole. C’est en 1979 que l’actuel président de la république de Guinée Equatoriale, Theodoro OBIANG NGUEMA MBAZOGO, accède au pouvoir après un coup d’Etat. Dans les réformes qu’il entreprend pour cette jeune nation indépendante d’à peine 10 ans, il libère l’expression littéraire grâce à la coopération qu’il restaure entre son pays et l’Espagne. Une coopération qui prend forme avec l’ouverture, en 1980, du centre culturel hispano-guinéen à Malabo la capitale administrative de la Guinée Equatoriale. La culture occupe ainsi une place de choix dans les relations qu’entretient la Guinée Equatoriale avec l’Espagne ; ce qui permet l’émergence des noms comme Leandro MBOMIO, Raquel LLOMBE, Donato NDONGO BIDJOGO et de Maria NSUE ANGUE. Les écrivains, poétesses et hommes de culture puisent leurs thèmes surtout dans la vie quotidienne de leurs peuples pour une valorisation, une authenticité de leurs us et coutumes.
C’est dans ce contexte que paraît Ekomo. Dix récits le composent : Le signe, la danse, Mort de l’ancien, Souvenirs, La colombe de feu, Nfumbaha, Le guérisseur, Bessamuel, Le long chemin vers la mission, Mort d’EKOMO.
Dans les huit premiers contes, les scènes se déroulent dans deux villages principaux de la Guinée Equatoriale : le village de EKOMO SIMA et celui de NNANGA ABAAHA Sara. Il est vrai que le texte n’établit aucune frontière, aucune séparation entre les deux villages ; comme s’il ne s’agit que d’un seul et unique village.
En Afrique le village est de manière générale très éloigné de la ville. Cet éloignement marque l’opposition, l’antagonisme entre la ville et le village. La ville, le là-bas, est symbole de l’étrange, du différent, de la destruction. Tandis que le village est le lieu où demeure toute la tradition, tous les rites, la palabre et tous les contes prêts à être transmis aux futures générations ; le lieu où les rites ont besoin d’être renouvelés. Dans les huit premiers récits que Maria NSUE ANGUE offre au lecteur, celui-ci peut se représenter la structure d’un village fang et noter le rapport à la culture des villageois ( habitants d’un village).
STRUCTURE D’UN VILLAGE FANG
Un village, chez le peuple fang, prend naissance à partir d’un regroupement de groupes de familles unis par la descendance d’une même femme ; le regroupement étant appelé Nvock-bot et les groupes Menda-mebot (pluriel de nda-bot). Ce fait montre le degré de parenté entre les habitants d’un village. Pour une meilleure compréhension de la cohésion sociale et communautaire chez le peuple fang, Jésus NDONGO MBA NNEGUE explique :
« Nda-bot es la familia núcleo, un grupo patrilocal, considerado como el fundamento de la sociedad. En ella, varios vocablos que designan parentesco son aplicables a muchas personas. Así, por ejemplo, los hermanos del padre de un hijo (tíos) son llamados y considerados por éste igualmente padres… Tal fraternidad está justificada por la concepción de que todos los miembros de la familia son descendientes de un mismo antepasado, y se consideran por tanto, hermanos y consanguíneos.”[2]
A partir des données de Jesus NDONGO MBA NNEGUE, le lecteur de Ekomo peut comprendre pourquoi tout au long des contes, les protagonistes se désignent sous les appellations de filiation telles que nous pouvons lire : « Alors Nfumbaha, celui qui est revenu il ya peu d’Europe, s’approche du vieil homme et lui demande ; -Est-ce que ça signifie, père, que quelqu’un parmi nous va mourir ? » (Ekomo, p 12)
L’origine de la cohésion sociale et communautaire chez les fang est une légende que Maria NSUE ANGUE reprend dans son recueil de contes Ekomo, ce qui donne force au caractère traditionnel de l’œuvre.
L’historiographie Bantou reconnaît la légende de Boan Be Afiricara. Afiricara est l’ancêtre des Fang et eut quatre enfants : fan Afiri, Okak Afiri, Pygmées et Ntum Afiricara. Tous ces ancêtres, d’après la légende, venaient de basse Egypte à travers le continent. Après des périodes de pérégrinations, ils arrivèrent sur les rives d’un fleuve qu’ils décidèrent d’appeler Ntam en référence à ses terres très fertiles, qui aujourd’hui se dit Ntem, fleuve qui symbolise l’histoire de ce peuple et surtout marque le début de leur dispersion dans toute l’Afrique centrale.
Les villages fang sont construits le long des rues. Les cases les plus significatives sont l’aba’a ( abaha) et la cuisine.
L’ABAHA :
L’abaha est un lieu de réception de toutes sortes de palabre et de toute sorte de personne. L’abaha ou case à palabre est généralement construite au centre de la cour entre les habitations jointives et la rue ( Pierre ALEXANDRE ; Proto-histoire du groupe béti-bulu-fang).L’abaha, à l’exemple des autres cases du village, est construit avec des matériaux primaires ; soit avec des écorces d’arbres, soit en terre battue avec un toit couvert de paille. L’abaha a toujours deux entrées, sans portes. Ce qui laisse un circulation libre à tout moment de la journée, par des étrangers ou par des habitants du village. Tout au long de la lecture de Ekomo, l’abaha représente, selon la palabre, une cour de justice, un lieu de garde pour les enfants dont les mères sont aux champs, une case où la communauté se réunit pour prendre des décisions :
« Dans la maison commune du village, l’abaha, les hommes discutent. Tous parlent de Nchama, cette femme coquette et légère qui, hier, dans le bois, a commis l’adultère. Les hommes parlent, les femmes se taisent. Les jeunes écoutent et les enfants jouent…
-Voilà la sentence ! crie l’ancien. Pour la femme adultère, cinquante coups. Et continue-t-il d’une voix enrouée, pour l’homme adultère deux chèvres, trente mille bipkwele et cent cinquante coups. »[3]
Cette citation résume une histoire d’adultère entre une femme mariée et un homme. Tous les villageois se retrouvent dans la case à palabre pour réfléchir sur la sanction à donner à ce couple qui a commis l’adultère.
Des pages plus loin, l’auteur relate une situation d’une autre nature qui réunit les villageois dans l’abaha :
« Maintenant assise près de Mère, je vois les gens arriver peu à peu et remplir l’abaha. La nuit tombe et, comme tous ne sont pas arrivés, le tambour sonne pour qu’ils viennent. »[4]
OYONO, un fils du village veut se convertir à la religion du colonisateur pour sauver son âme. Pour cette conversion, le curé lui demande de passer par les eaux du baptême. Le curé souligne que pour son baptême il devra se séparer de trois de ses quatre femmes. Informées de cela et n’ayant pas voix au chapitre, les épouses de OYONO lui portèrent plainte auprès du chef du village, le père NDONG AKELE.
La dernière circonstance dans l’œuvre qui rassemble la communauté villageoise sous l’abaha est la maladie de EKOMO, un des protagonistes principaux du recueil de contes.
EKOMO SIMA, fils de SIMA le sorcier, un des fils du village, est allé en ville pour y passer quelques jours. De retour au village, son pied s’est enflé jusqu’à l’empêcher de marcher normalement et de porter des pantalons. Préoccupé par la maladie de EKOMO, le chef du village convoque et partage son inquiétude à toute la communauté pour en débattre et prendre une décision. EKOMO devra donc se rendre au Cameroun aux bons soins d’un grand guérisseur. Dans la tradition fang, le guérisseur, homme des herbes, est celui qui diagnostique et soigne les maladies, après avoir obtenu l’accord des ancêtres avec qui il travaille.
Avant de quitter le village et, comme l’exige le rituel dans un village fang lorsque l’on ne perçoit pas clairement l’origine du mal d’un membre de la communauté, femmes et hommes en âge de distinguer le bien du mal viennent aux aurores et devant l’abaha pour jurer de n’avoir aucune part de responsabilité dans la souffrance de leur fils ou de leur frère.
A priori les textes des huit premiers récits n’ont aucune relation entre elles. Ce sont des épisodes des différents aspects de la vie quotidienne d’une communauté et de son rapport à ses us et coutumes. Les épisodes se succèdent principalement dans deux villages de la Guinée Equatoriale, villages qui n’ont pas de noms.
Les thèmes qui s’y trouvent développés sont traditionnels : la condition de la jeune fille qui se marie à treize ou quatorze ans, pas avec un jeune qu’elle aime, mais avec un vieillard car décidé par les parents de cette dernière. Une façon pour l’auteure de légitimer et d’exorciser la permanence de la tradition fang après l’indépendance de la Guinée Equatoriale .Pour contrer cette façon de faire de la part des parents, généralement c’est le père seul qui prend la décision car c’est une société où « les hommes parlent, les femmes se taisent, les jeunes écoutent et les enfants jouent », une pratique est née. « Abom » ou le rapt consiste à enlever la veille de son mariage la jeune fille qui est conduite, souvent dans la nuit, au village de celui qu’elle aime pour pousser les parents à accepter et respecter son choix. C’est grâce à la pratique « Abom » que NNANGA ABAHA, promise au fils du catéchiste qu’elle n’aimait, deviendra la femme légitime de EKOMO pour qui elle avait des sentiments très forts par le moyen de la dote.
L’impossible cohabitation entre la tradition et le monde moderne est un autre thème du recueil Ekomo. La sorcellerie y trouve également sa place. Et c’est dans le récit La Colombe de feu que nous trouvons exposée cette pratique de sorcellerie.
En effet, la sorcellerie peut être définie comme une pratique magique, basée sur la relation qu’une personne établit avec un esprit. Soulignons tout de même que cette relation entre un vivant et un esprit s’établit dans un cadre bien déterminé, généralement lors d’une initiation. L’esprit qui voit et en tend tout devient en quelque sorte le guide, le conseiller de l’initié-e. N’oublions pas que tout ceci tient de la pensée du peuple fang selon laquelle les morts ne sont pas morts : ils sont dans l’eau qui coule, ils sont dans les pierres, dans le sein de la femme qui allaite…
Dans le conte La Colombe de feu, l’auteure nous livre comment NNANGA ABAAHA fusionne avec son esprit-génie :
« …Et quand finalement s’approcha l’heure de se préparer à la danse, comme toujours, tous nous nous réunissions dans un coin et attendions de voir si arrivait la Colombe de feu, ma mascotte. Car jamais nous ne pourrions commencer, si de la forêt n’arrivait en volant une colombe blanche. Nous chantions en attendant, jusqu’à ce que nous la vîmes apparaître, gracile et blanche à la pâle lumière de la lune. Je me trouvais assise à même le sol avec les jambes croisées et, comme il m’arrivait toujours, tandis qu’elle volait au- dessus de nous, je me souvins de la nuit où j’avais dû aller seule au cimetière pour la chercher… C’était cette castanuela avec laquelle je dansais et la corne à l’intérieur de laquelle je chantais et évoquais les esprits et ma colombe blanche, mon moi, parce que cette colombe était moi. Je ne pourrais jamais danser sans elle. » [5]
La Guinée Equatoriale, à l’exemple des pays de l’Afrique centrale, se trouve au cœur de la forêt équatoriale et c’est cette forêt qui va régir toute la vie socioculturelle et religieuse des peuples de cet espace. Cette forêt qui fonde des récits, des légendes et des mythes africains.
C’est dans la forêt que le guérisseur tout comme le sorcier trouvent des racines, des écorces et toute sorte d’herbes pour éradiquer, chacun à sa façon, le mal et/ou restaurer l’équilibre.
C’est dans la forêt que le villageois trouve tout ce qui est nécessaire à sa survie car « la forêt est un lieu sacré, imprégné de mystères et de forces dont il convient de respecter ».
Les deux derniers récits qui complètent les huit premiers font mention des frontières établies entre les pays d’Afrique centrale et de l’attitude de la mission protestante, avec pour corollaire l’institution des pièces d’identité et l’attribution de prénom chrétiens : Le long chemin vers la mission, Mort de EKOMO.
En d’autres termes, il s’agit dans ces derniers textes de la colonisation que Maria NSUE ANGUE présente comme processus de séparation, pire de destruction et de transformation de l’Africain en Guinéen équatorial.
Le texte ainsi présenté et le contexte recadré, une interrogation se pose : pourquoi EKOMO meurt il ? Pour répondre à cette question, nous allons nous aider de l’évolution de la trame elle-même et de ce que représente EKOMO dans les récits de Maria NSUE ANGUE.
LA MORT, RUPTURE ENTRE L’AFRIQUE D’HIER ET LA GUINEE EQUATORIALE DE DEMAIN
Toute œuvre littéraire est fondée sur la réalité et sur la fiction. Ekomo est une œuvre, nous l’avons dit, qui s’inscrit dans un contexte d’authenticité et de sauvegarde de la culture du peuple fang de la Guinée Equatoriale des années 80. Et dans cette œuvre qui porte une marque anthropologique, nous pouvons déceler la position de l’auteure.
En effet, depuis la première page du livre, le lecteur est en présence constante de l’ombre de la mort. Dans un lexique bien choisi, jouant entre le temps mythique et celui du conte, l’auteure nous plonge dans une ambiance sans équivoque : la cime du ceiba, l’arbre sacré du village en dessous duquel se trouvent les ossements des ancêtres et les racines de la tribu, vient de se casser. Cet évènement est suivi du signe d’une tombe qui apparait dans le ciel. Toutes ces marques indiquent une succession de mort-s. La mort signifiant, elle-même, la fin d’une période et le début d’une autre. La mort est une étape transitoire chez les peuples africains de manière générale ; elle symbolise l’entre-deux, la limite entre le « ici » et le « là-bas ». Ce qui a été ne sera plus.
Les signes annoncent la mort d’un vieillard et celle d’un jeune. Les signes viennent de l’au-delà, des ancêtres. Il n’y a rien que les ancêtres font qui ne soit révéler à leurs fils, car un lien indélébile les unis aux initiés qui servent d’intermédiaires entres ces derniers et les vivants.
Le vieillard est le chef du village, donc un homme de tous les pouvoirs. Il appartient à l’histoire de l’Africain. Il est un homme de tradition, des herbes, donc un fils des ancêtres. Les ancêtres viennent de décider de la mort de leur dernier vaillant guerrier :
« Je réalise qu’il vient de mourir le dernier survivant d’une époque terminée depuis longtemps. L’époque de l’ancien s’était terminée quand il était encore en vie. Triste réalité. »[6]
Le premier aspect qui frappe le lecteur dans la mort du vieillard est la soudaineté de sa mort, décidée par d’autres et non par lui-même. Le second est l’acceptation et l’exécution, sans aucune résistance, de l’ordre donné malgré la surprise de la mort.
Le vieillard représente L’Afrique et comme le signale l’auteure l’Afrique dans sa globalité, sans différences et sans distinctions établies par la colonisation ; l’Afrique avant l’arrivée des colons. Simplement une Afrique sans Guinéens, Gabonais Congolais pour ne citer que ceux-là. Le vieillard symbolise L’Afrique des traditions, l’Afrique des guerriers qui n’éprouvait aucune peur et qui défendaient leurs terres, soutenus évidement par leurs dieux. De ce fait, le vieillard est celui qui dispose de toute la connaissance, de toute l’histoire et de toute la sagesse africaine. Il est le dépositaire d’un héritage socioculturel en attente d’être transmis.
Aussi, la mort du vieillard marque une rupture, une discontinuité telle qu’exprimée dans ces lignes :
« Peut-être seulement le vieux qui a provoqué tout ceci avec le son des tam-tam, sait que « l’homme », ce héros, marque de sa mort la fin d’une Afrique et donne le début d’une autre.
Peut être, seul le vieux des tam-tam, sait que dorénavant il n’y aura plus alors de tam-tam de guerre pour personne….Peut être seul ce vieux des tam-tam sait que l’Africain d’aujourd’hui s’intéresse à d’autres choses. Il a d’autres problèmes, d’autres dieux, d’autres croyances et est en train d’abandonner lentement sa tradition, influencé par cette vague qui traverse tout… »[7]
La mort du vieillard est suivie de celle de NFUMBAHA, un jeune homme du village parti en Europe pour étudier qui, après de longues pluies revient au village. Il est évident que le séjour passé en Europe a transformé NFUMBAHA. Et Maria NSUE ANGUE de nous le présenter comme quelqu’un qui ne respecte plus la tradition. Une fois encore apparaît la notion de l’entre-deux ; NFUMBAHA était Africain et ne l’est plus une fois de retour d’Europe. Mais s’est il assimilé à l’Européen en revanche ?
A cette interrogation, l’auteure nous situe en disant que NFUMBAHA a laissé sa tradition enfermée dans les livres, y compris sa personnalité et ses croyances africaines, et un être vide revint à son village avec un déguisement d’Européen sans l’Européen à l’intérieur( Ekomo,94).
NFUMBAHA représente la jeune génération, comme dit l’auteur « le jeune homme sur lequel on comptait pour résoudre les difficultés de demain et pour réparer des blessures passées (Ekomo, 99). C’est l’espoir de demain, c’est à lui de prendre la relève pour perpétrer et perpétuer la tradition des ancêtres. Malheureusement, avant que ne l’atteigne la mort physique, NFUMBAHA était déjà mort spirituellement. Une fois encore, avec sa mort physique, il n’y aura pas de transmission de tradition, ni la sauvegarde celle-ci. La tradition africaine ne peut survivre au contact de la civilisation Européenne ; une civilisation qui renferme l’Africain dans une situation toujours différée, un lendemain pourtant proche mais en même temps utopique, après lui avoir fait renier tout ce qu’il a et tout ce qu’il est. L’Africain se trouve dans une position, une condition de liminalité et toute sa tradition orale se retrouve tronquée, macérée puis inerte dans des livres. A partir de ce moment peut- on parler de tradition africaine lorsque nous savons que celle-ci se fonde sur le caractère oral de l’existence même de ce peuple ! La civilisation occidentale constitue-t- elle un frein et traduit elle nécessairement la capture et l’emprisonnement de la tradition africaine ?
REFLEXIONS SUR LA VISION DE L’AUTEURE
A travers l’évolution et la trajectoire physique et spirituelle de ses personnages principaux, Maria NSUE ANGUE fait découvrir au lecteur sa vision progressiste. EKOMO et son épouse légitime NNANGA ABAAHA suivent un cheminement qui va de leurs villages respectifs et confondus à la ville. Le village qui s’inscrit dans le droit fil du processus de changement avec l’arrivée des colons et surtout l’essor des missions protestantes, anglaises et américaines. Les différents récits contenus dans Ekomo offrent un panorama de l’Afrique traditionnelle ; ce qui prouve la résistance de la part des villageois à vouloir sauvegarder les us et coutumes et surtout la volonté de transmission qui peut être une interprétation des dits textes.
L’auteure fait mourir l’Ancien, le dépositaire de tous les secrets, de toute la science africaine traditionnelle. Elle fait également mourir deux jeunes qui incarnent l’espoir ; l’un NFUMBAHA a été en occident loin de la protection du crâne des ancêtres. Dans l’œuvre il est représenté comme une personne perdue, sans savoir avec exactitude à quel monde il appartient. Il ne peut se référer au monde occidental parce qu’il ne le connaît pas, il n’y est resté que deux longues pluies, temps suffisamment court pour le connaître, le comprendre et l’intégrer. De retour au village, sa mort peut être interprétée comme le refus, la non reconnaissance de ce fils par ses propres ancêtres qu’il avait fini par renier. Il est vomit. L’autre jeune mort dans l’œuvre est EKOMO. NFUMBAHA et EKOMO, deux jeunes d’un même village et ami-frères ont plus d’un point en commun : ils sont tous les deux hautains, arrogants, fiers, jeunes, disposés à réfuter les paroles des Anciens et à ne pas respecter les tabous. Egalement de retour au village, après une escapade en ville, EKOMO tombe malade, une maladie dont il ne guérira jamais. Vue la trajectoire suivie par les deux jeunes ami-frères et le sort qui leur à été réservé, l’on est enclin à se demander si Maria NSUE ANGUE veut par là légitimer la force de la tradition africaine. Une tradition que l’on ne peut rejeter sans en assumer les conséquences. Une tradition qui a du mal à accepter la nouveauté, le modernisme, le futur. L’œuvre Ekomo elle-même ne présente aucune projection vers le futur. Du premier récit au dernier qui le compose, NANNGA ABAAHA déambule entre le passé et le présent ; en somme pour elle l’on constatera qu’il n’y a aucune frontière entre son passé et son présent. D’ailleurs, le lecteur remarquera sans effort que l’incertitude de demain qui est la note de fin du texte revient également au début de l’œuvre. NNANGA ABAAH, héroïne au même titre que EKOMO son époux, ne meurt pas mais ne vit pas non plus comme l’indique la fin du recueil :
« Une voix crie dans ma tête. Tu es morte !
Crie ma rébellion :
Non. Je ne suis ni morte ni vivante !
Que veux-tu dire ?- me demande la raison- et une voix débile répond :
« La frontière entre la vie et la mort ». »
Cette étape finale de notre héroïne résume la trajectoire de cette dernière dans le recueil de contes. En effet NNANGA ABAAHA est née de parents fang. Ils lui ont appris le respect de la tradition qu’elle n’a jamais trahie. De plus, elle a été élevée dans les préceptes de l’amour de Jésus-Christ. Ainsi, elle allie la tradition à la religion occidentale. Tout au long des différents récits, elle n’a pas eu à choisir entre la tradition africaine et la croyance religieuse occidentale. NNANGA ABAAH se trouve du début à la fin dans cette condition de l’entre-deux mais sans rien renier. Est-ce respect des valeurs africaines et occidentales qui lui valent d’être en vie ? La tradition africaine est –elle condamnée à ne plus être orale ?
BIBLIOGRAPHIE
MBOT, Jean Emile, Ebughi bifia ; Enonciation et situations sociales chez les Fang du Gabon. Paris, L’Harmattan, 1975.
NDONGO MBA-NNEGUE, Jesús, Los Fán. Madrid, 1985.
NSUE ANGUE, maria, Ekomo. Traduction française de Françoise HARRACA. Paris Editions l’Harmattan, 1995
SCHNITZER, Luda, Ce que disent les contes. Paris, Editions du Sorbier, 1981.
[1] Luda, SCHNITZER, Ce que disent les contes. Paris, Editions du Sorbier, 1981
[2] Jesus NDONGO MBA6NNEGUE, Los Fan, p44.
[3] Maria NSUE ANGUE, Ekomo, p 10.
[4] Maria NSUE ANGUE, op cit, p105
[5] Maria NSUE ANGUE, Ekomo, p87.
[6] Maria NSUE ANGUE, Ekomo, p41.
[7] Maria NSUE ANGUE, Ekomo, p42.
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