mardi 19 avril 2022

Migrations : Des ressources culturelles dans la construction identitaire de l’Afro-migrant

 Je voudrais sincèrement remercier les organisateurs de cette 5 e édition des journées CAMES et je suis contente d’être ici à Dakar pour deux raisons : la première est que c’est une ville que j’ai toujours rêvé de visiter et la deuxième raison est que cette rencontre me donne l’opportunité de la réalité des acteurs du CAMES, cessant de n’être dans mon esprit, que l’outil d’évaluation des enseignants chercheurs que nous sommes.

Migrations : Des ressources culturelles dans la construction identitaire de l’afro-migrant est du moins l’auto interrogation que je choisis de porter à votre connaissance. C’est dire que je vais simplement observer la trilogie partir/rester/demeurer des Africains en rapport avec des pays occidentaux, plus précisement avec l’Espagne, à partir de deux ouvrages ! Ser Mujer negra en España de Désirée Bela-Lobedde et La niña que curό el racismo de Inongo Vi Makomo.

Je prends le risque de sortir des sentiers battus car comme le recommande Achille Mbembe, un historien de la postcolonie, de ne pas développer des théories abstraites, ni de convoquer celles qui existent. Il nous invite à nous efforcer à atteindre un moment de lucidité au cœur des situations historiques qui sont les nôtres. La migration nous est définie comme un processus qui englobe un ensemble de mouvements de personnes et de choses entre un ou plusieurs points de départ et d’arrivée ; des mouvements qui impliquent des transferts culturels, des dialogues transnationaux. D’après l’historiographie, les migrations existent dans l’humanité depuis la nuit des temps, comme si elles faisaient parties de l’humaine condition. Le phénomène est plus accentué au XX e siècle. Quant à la notion de identité, elle est en débat depuis très longtemps : existe elle (Mbembe lui préfère le terme identification)? Peut-on en parler ? Car des auteurs comme Jean-François Bayart en parle mais comme d’une illusion. Je ne vais pas m’inscrire dans ce débat, plutôt essayer de comprendre le rapport à soi de l’Afro-migrant et de son rapport à l’Autre dans un monde qui n’est pas le sien, qu’il veut faire sien car globalisé et/ou mondialisé, avec pour objectif un meilleur vivre ensemble des hommes et des femmes. J’emprunte l’expression ressource culturelle à Julien François, philosophe français, car contrairement à la notion d’identité qui enferme, sépare, idéalise, favorise le statique et l’instantanée, la ressource culturelle favorise la conversion et ne cloisonne pas.

Les deux ouvrages choisis ici peuvent se lire comme des témoignages, des expériences de vie de leurs auteurs, et partant de leurs semblables, de tous ceux et toutes celles qui ont connu, connaissent et connaitront le partir/rester et demeurer. Ma méthode va être la suivante,

1-Présenter les expériences des auteurs

2-La convocation et la construction de l’Afrique comme une arme de lutte : dès le départ l’Afro-migrant reste à définir, connaissant les raisons pour lesquelles il ou elle quitte son pays, son continent (conséquences de guerre, génocides, catastrophes naturels, politiques, économiques…).

3- A l’exemple de développement, de sous-développement, migration et/ou migrants est un des concepts que le Pr Jean Emmanuel Pondi, politologue et de nationalité camerounaise pourrait qualifier de fumeux, créés par les Occidentaux pour endormir les Africains. Lorsque l’Occident est venu sur les côtes africaines, l’on a parlé de découvertes et non de migration. Avec Abraham, la bible parle d’exode.

4- Nous devons profiter de cette messe ici à Dakar pour nous penser, ne pas attendre que l’autre me définisse, que l’Autre me nomme car nommer c’est créer, et imaginer, c’est naitre a dit Octavio Paz, poète mexicain.

L’expérience de Désirée Bela-Lobedde est celle de tous les Afro migrants, d’ailleurs pour l’écriture de son texte elle prend appui sur le poème Me gritaron negra de Victoria Santa Cruz, une poète afropéruvienne. Etre une femme noire en Espagne, traduction en langue française de Ser mujer negra en España est un livre de témoignage (Mémoire) de 177 pages, publié en Espagne en 2018. Désirée Bela Lobedde y relate la tragédie qui est la sienne, d’être une femme noire, née en Espagne, de parents qui sont eux-mêmes nés en Espagne et de surcroit  qui possèdent une carte nationale d’identité. De l’enfance à l’âge adulte, Désirée nous partage le choc qui a été le sien lorsqu’enfant, ses camarades lui jettent au visage qu’elle est noire. Ne comprenant pas toute la charge contenue dans le qualificatif noire ni à ce qu’il représente et suggère, la naïveté de l’enfance lui commanda  de n’avoir aucune réaction, elle le résume dans la phrase suivante : Qué cosa es ser negra ? Y yo no sabia la triste verdad que aquello escondía. Quelques années plus tard, lorsque Désirée commencera à comprendre que l’assignation du mot noir est la traduction de l’infantilisation, de l’hypersexualité, de la vulnérabilisation, en somme tous les préjugés possibles et inimaginables, elle entreprendra d’assumer qui elle est, c’est-à-dire une femme, avec une couleur de peau ʺnoireʺ et des cheveux crépus. Cuando quieres encontrarte es que ya te buscas, y la busqueda nace del desconcierto, del rechazo, de la falta de reconocimiento y por eso descubriste en tu amplitud o iniciarte en el viaje para llegar à ti, es paz.

Dans un autre moment, un autre contexte, Bamboa bá Essopi,protagoniste principal de l’histoire La niña que curό el racismo,écrite par l’écrivain camerounais Inongo-Vi-Makomé et publiée en Espagne, en 2018, raconte l’altercation qu’elle eut avec une de ses camarades d’école. A l’exemple de Désirée, Bamboa va connaitre l’expérience  d’être noire et espagnole, dans ce cas précis. L’histoire raconte que une petite fille blanche a insulté Bamboa, pensant ainsi la rabaisser, l’humilier devant les autres, l’inférioriser. Elle est finalement surprise par l’attitude de la petite Bamboa qui est restée imperturbable et a su la remettre à sa place.

-Qui es-tu ?

-Je suis espagnole

-Mais mes tes parents… ?

-Ils sont espagnoles…

-Oui tu comprends bien ce que je veux dire, d’où venez-vous ?

A travers ce dialoque littéraire, je veux traduire la réalité, la situation des afromigrants dans le monde. Désirée et Bamboa sont toutes les deux nées en Espagne, leurs parents sont des citoyens espagnoles, travaillent et payent leurs impots. Malgré cela, de la première à la dernière génération, ils sont tous appelés des migrants. On note également que bien que nées en Espagne, les enfants continuent de porter des noms de leur pays d’origine. La rupture n’est donc pas totale. Si le retour au pays natal des ancêtres n’est pas physique, il peut l’être de façon génétique et mémorielle grâce aux référents inculqués par leurs parents. Dans les deux expériences de vie, le lecteur peut noter la présence des parents qui aident leurs filles à combattre les difficultés qui s’offrent à elles. Et dans ce combat vers l’unidiversalité, néologisme  conçu par le philosophe congolais Emmanuel Banywesize pour traduire l’unité et la diversité, l’Afromigrant a recours à l’Afrique. Il est peut etre temps de définir clairement qui sont-elles, ces personnes qui ne sont pas assimilées à la société qui les reçoit et qui n’appartiennent pas non plus entièrement au pays de leurs ancêtres ? Finalement, ne pouvons-nous pas conclure que la globalisation, la mondialisation constituent un échec pour l’homme afro ? Les deux expériences de vie qui constituent notre corpus montrent clairement que l’afroespagnole est rejetée, et que les préjugés continuent de dominer le monde et de se constituer en obstacle pour le bien vivre ensemble.


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