Je voudrais sincèrement remercier les organisateurs de cette 5 e édition des journées CAMES et je suis contente d’être ici à Dakar pour deux raisons : la première est que c’est une ville que j’ai toujours rêvé de visiter et la deuxième raison est que cette rencontre me donne l’opportunité de la réalité des acteurs du CAMES, cessant de n’être dans mon esprit, que l’outil d’évaluation des enseignants chercheurs que nous sommes.
Migrations : Des ressources culturelles dans la
construction identitaire de l’afro-migrant est du moins l’auto interrogation
que je choisis de porter à votre connaissance. C’est dire que je vais
simplement observer la trilogie partir/rester/demeurer des Africains en rapport
avec des pays occidentaux, plus précisement avec l’Espagne, à partir de deux
ouvrages ! Ser Mujer negra en España
de Désirée Bela-Lobedde et La niña
que curό el racismo de Inongo Vi Makomo.
Je prends le risque de sortir des sentiers battus car
comme le recommande Achille Mbembe, un historien de la postcolonie, de ne pas
développer des théories abstraites, ni de convoquer celles qui existent. Il
nous invite à nous efforcer à atteindre un moment de lucidité au cœur des
situations historiques qui sont les nôtres. La migration nous est définie comme
un processus qui englobe un ensemble de mouvements de personnes et de choses
entre un ou plusieurs points de départ et d’arrivée ; des mouvements qui
impliquent des transferts culturels, des dialogues transnationaux. D’après
l’historiographie, les migrations existent dans l’humanité depuis la nuit des
temps, comme si elles faisaient parties de l’humaine condition. Le phénomène
est plus accentué au XX e siècle. Quant à la notion de identité, elle est en
débat depuis très longtemps : existe elle (Mbembe lui préfère le
terme identification)? Peut-on en parler ? Car des auteurs comme Jean-François
Bayart en parle mais comme d’une illusion. Je ne vais pas m’inscrire dans ce
débat, plutôt essayer de comprendre le rapport à soi de l’Afro-migrant et de
son rapport à l’Autre dans un monde qui n’est pas le sien, qu’il veut faire
sien car globalisé et/ou mondialisé, avec pour objectif un meilleur vivre
ensemble des hommes et des femmes. J’emprunte l’expression ressource culturelle à Julien François, philosophe français, car
contrairement à la notion d’identité qui enferme, sépare, idéalise, favorise le
statique et l’instantanée, la ressource culturelle favorise la conversion et ne
cloisonne pas.
Les deux ouvrages choisis ici peuvent se lire comme des
témoignages, des expériences de vie de leurs auteurs, et partant de leurs
semblables, de tous ceux et toutes celles qui ont connu, connaissent et
connaitront le partir/rester et demeurer. Ma méthode va être la suivante,
1-Présenter les expériences des auteurs
2-La convocation et la construction de l’Afrique comme
une arme de lutte : dès le départ l’Afro-migrant reste à définir,
connaissant les raisons pour lesquelles il ou elle quitte son pays, son
continent (conséquences de guerre, génocides, catastrophes naturels,
politiques, économiques…).
3- A l’exemple de développement, de sous-développement,
migration et/ou migrants est un des concepts que le Pr Jean Emmanuel Pondi,
politologue et de nationalité camerounaise pourrait qualifier de fumeux, créés
par les Occidentaux pour endormir les Africains. Lorsque l’Occident est venu
sur les côtes africaines, l’on a parlé de découvertes et non de migration. Avec
Abraham, la bible parle d’exode.
4- Nous devons profiter de cette messe ici à Dakar pour
nous penser, ne pas attendre que l’autre me définisse, que l’Autre me nomme car
nommer c’est créer, et imaginer, c’est
naitre a dit Octavio Paz, poète mexicain.
L’expérience de Désirée Bela-Lobedde est celle de tous
les Afro migrants, d’ailleurs pour l’écriture de son texte elle prend appui sur
le poème Me gritaron negra de Victoria
Santa Cruz, une poète afropéruvienne. Etre une femme noire en Espagne,
traduction en langue française de Ser
mujer negra en España est un livre de témoignage (Mémoire) de 177 pages,
publié en Espagne en 2018. Désirée Bela Lobedde y relate la tragédie qui est la
sienne, d’être une femme noire, née en Espagne, de parents qui sont eux-mêmes
nés en Espagne et de surcroit qui
possèdent une carte nationale d’identité. De l’enfance à l’âge adulte, Désirée
nous partage le choc qui a été le sien lorsqu’enfant, ses camarades lui jettent
au visage qu’elle est noire. Ne comprenant pas toute la charge contenue dans le
qualificatif noire ni à ce qu’il représente et suggère, la naïveté de l’enfance
lui commanda de n’avoir aucune réaction,
elle le résume dans la phrase suivante : Qué cosa es ser negra ? Y yo no sabia la triste verdad que aquello
escondía. Quelques années plus tard, lorsque Désirée commencera à
comprendre que l’assignation du mot noir est la traduction de
l’infantilisation, de l’hypersexualité, de la vulnérabilisation, en somme tous
les préjugés possibles et inimaginables, elle entreprendra d’assumer qui elle
est, c’est-à-dire une femme, avec une couleur de peau ʺnoireʺ et des cheveux
crépus. Cuando quieres encontrarte es que
ya te buscas, y la busqueda nace del desconcierto, del rechazo, de la falta de
reconocimiento y por eso descubriste en tu amplitud o iniciarte en el viaje
para llegar à ti, es paz.
Dans un autre moment, un autre contexte, Bamboa bá Essopi,protagoniste
principal de l’histoire La niña que curό el racismo,écrite par l’écrivain
camerounais Inongo-Vi-Makomé et publiée en Espagne, en 2018, raconte
l’altercation qu’elle eut avec une de ses camarades d’école. A l’exemple de
Désirée, Bamboa va connaitre l’expérience
d’être noire et espagnole, dans ce cas précis. L’histoire raconte que
une petite fille blanche a insulté Bamboa, pensant ainsi la rabaisser,
l’humilier devant les autres, l’inférioriser. Elle est finalement surprise par
l’attitude de la petite Bamboa qui est restée imperturbable et a su la remettre
à sa place.
-Qui es-tu ?
-Je suis espagnole
-Mais mes tes parents… ?
-Ils sont espagnoles…
-Oui tu comprends bien ce que je veux dire, d’où
venez-vous ?
A travers ce dialoque littéraire, je veux traduire la
réalité, la situation des afromigrants dans le monde. Désirée et Bamboa sont
toutes les deux nées en Espagne, leurs parents sont des citoyens espagnoles,
travaillent et payent leurs impots. Malgré cela, de la première à la dernière
génération, ils sont tous appelés des migrants. On note également que bien que
nées en Espagne, les enfants continuent de porter des noms de leur pays
d’origine. La rupture n’est donc pas totale. Si le retour au pays natal des
ancêtres n’est pas physique, il peut l’être de façon génétique et mémorielle
grâce aux référents inculqués par leurs parents. Dans les deux expériences de
vie, le lecteur peut noter la présence des parents qui aident leurs filles à
combattre les difficultés qui s’offrent à elles. Et dans ce combat vers
l’unidiversalité, néologisme conçu par
le philosophe congolais Emmanuel Banywesize pour traduire l’unité et la
diversité, l’Afromigrant a recours à l’Afrique. Il est peut etre temps de
définir clairement qui sont-elles, ces personnes qui ne sont pas assimilées à
la société qui les reçoit et qui n’appartiennent pas non plus entièrement au
pays de leurs ancêtres ? Finalement, ne pouvons-nous pas conclure que la
globalisation, la mondialisation constituent un échec pour l’homme afro ? Les
deux expériences de vie qui constituent notre corpus montrent clairement que
l’afroespagnole est rejetée, et que les préjugés continuent de dominer le monde
et de se constituer en obstacle pour le bien vivre ensemble.
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