mardi 19 avril 2022

Du panafricanisme et du consciencisme dans la poétique de la relation de Pierre Claver Zeng

 

Du panafricanisme et du consciencisme dans la poétique  de la relation de Pierre Claver Zeng

Par Elisabeth Oyane Megnier

Université Omar Bongo

 

Hé bigong éboulou meking ma’atan a ne ve ana…

Ces nouveaux espaces de la parole font la beauté et la grandeur de toute œuvre d’art. Par la création, l’artiste devient un homme irréductiblement libre car il vit parfois des expériences insoupçonnées qu’il tente de partager avec son public. C’est par ce biais qu’il libère l’homme bâillonné. J’ai non seulement ouvert de nouveaux espaces de la parole,  mais j’ai aussi fait découvrir des lieux mythiques quelques peu oubliés.

                                                    Pierre Claver Zeng, 2001,106 

 

Introduction

                                                                           

                 Questionner l’Afrique dans la chanson gabonaise est un moment qui s’invite, aussi bien à l’auteur de la présente contribution qu’au lecteur à venir, pour rappeler la mémoire culturelle et historique de cette communauté d’appartenance et de destins croisés et parallèles, qui s’inscrit entre ruptures et continuités. Dans cette optique, et au travers du texte poétique Africa de l’artiste gabonais Pierre Claver Zeng, nous venons convoquer les concepts de panafricanisme et de consciencisme qui rendent compte de la réalité de la résistance et de la dissidence, dans une Afrique post-coloniale. Pourquoi l’inscription du panafricanisme et du consciencisme ? Parce que le poète mentionne le nom de Nkrumah dans l’incipit. Revisiter donc  les théories et idéologies de panafricanisme et de consciencisme internalisées et continentalisées par Kwamé Nkrumah, au travers de la poétique de Pierre Claver Zeng, notament de la chanson Africa, comporte deux intérêts. Le premier étant de comprendre comment le poète, l’artiste participe-t-il à l’ensemble de la vie intellectuelle, socio-historique et mémorielle pour le bonheur de l’homme noir, dans ce cas précis. Le deuxième intérêt repose sur la question suivante : Comment, dans un contexte de globalisation, de l’affirmation des peuples et surtout de circulation des cultures, (re) penser l’Afrique ?  Une Afrique en mouvement et de plus en plus jeune. S’inscrivant dans une démarche dialectique qui s’appuie elle-même sur un examen rétrospectif, notre réflexion se fera en deux temps. Il s’agit d’abord d’examiner la poétique de Pierre Claver Zeng , le texte et le contexte, puis d’interroger le panafricanisme et le consciencisme  à travers ladite poétique de P.C. Zeng .

 

       I.            Origines africaine-américaine et antillaise du Panafricanisme

 

                Dans cette partie de notre étude, la définition des concepts de panafricanisme, consciencisme et l’origine de Africa qui sous-tendent la présente étude s’imposent comme préalables pour comprendre et justifier l’analyse qui suivra. Le rappel des origines du projet et sa trajectoire suivront. L’internalisation du panafricanisme et la construction de l’Afrique comme une totalité viendra mettre un terme à cette partie.

 

1.       Cadre conceptuel et historique

 

                Des Africains-Américains (descendants d’esclaves) tels que Edward Wilmot Blyden (1832-1912), Marcus Garvey (1886-1940) et William Edward Burghardt Du Bois (1868-1963) qui ont conçu le mouvement et défini les objectifs rapportent que le panafricanisme surgit comme une manifestation de solidarité fraternelle entre Africains et peuples d’ascendance africaine. Pensé à partir du Panaméricanisme et du Panégrisme, le panafricanisme va devenir à la fois raciale et un mouvement d’action pour personnes  d’une origine commune, dans un contexte de racisme anti noir.

                Après l’esclavage des Africains, après la traite négrière et malgré les luttes pour les indépendances en Amérique et aux Antilles, la problématique du Noir continue de se constituer en obstacle pour l’accès à la citoyenneté. Ainsi que le rapporte au début du XXe siècle ces écrits de Benito Sylvain (1868-1915), homme politique haïtien, s’adressant à Antênor Firmin, un autre homme politique haïtien :

                « Éminent et cher compatriote, Sûr de trouver en vous, avec l’encouragement qui réconforte, le Conseil judicieux qui assure la réussite, je viens vous communiquer un projet dont la réalisation peut, je crois, faire avancer d’un grand pas, l’œuvre de la réhabilitation de la race noire, œuvre qui vous tient à cœur et à laquelle, vous ne l’ignorez pas, je me suis voué corps et âme.

Les détracteurs de notre race sont de deux sortes :

Ceux qui, incapables de rechercher le pourquoi et le comment dont s’étonnent leur esprit borné, reçoivent et transmettent, sans même en soupçonner la portée, les idées malheureuses que des esclavagistes avaient tant intérêt  propager et qu’ils n’eurent pas de peine à faire  accepter des masses ignorantes.

                Ceux qui, étant à même de réduire  à leur juste valeur les jugements aprioristiques communément portés sur les hommes de couleur, sont retenus par un invincible orgueil de race et suivent délibérément, au lieu de chercher à l’arrêter. »

Face  à cette situation, les descendants d’Africains (diaspora) d’abord, et les Africains par la suite devaient réfléchir sur leur présence au Monde :

                « Non, le noir n’est point fait pour servir de marchepied à la puissance du blanc : A tous ceux qui osent le soutenir, nous répondons hardiment, quel que soit leur renom scientifique : « Vous outragez l’auguste vérité de la science ! ».La race africaine compte aujourd’hui trop d’hommes remarquables, tant par l’intelligence que par la valeur morale, pour continuer à vivre, dans le même état de prostration, sous le coup d’une réprobation aussi outrageante et si peu justifiée. Des savants, pour tranquilliser la conscience de l’Europe esclavagiste, ont proclamé jadis le dogme de l’infériorité originelle du noir ; nous en appelons de cette sentence de la science, plus impartiale et mieux informée. »[1]

                La littérature sur le concept commente que le panafricanisme a été impulsé par les noirs des Caraïbes et des Amériques latines, à la fois descendants d’esclaves et affranchis dans un système d’oppression blanche. Le panafricanisme se présente donc comme une lutte contre la domination des noirs, contre la négation de leur  liberté et plus tard pour la libération de l’Afrique, qui passe par son unification.

                Il est vrai que le panafricanisme va de pair avec le consciencisme que nous allons définir dans la deuxième partie de notre réflexion, avec l’entrée en scène de Kwamé Nkrumah, symbole de l’internalisation du panafricanisme sur le continent africain.

                Quant au concept Africa, le Larousse explique qu’il tire son origine du mot arabe et latin Ifriqiya ou Ifriqiyya, Ifri désignant ou un peuple d’une portion du territoire de Carthage (actuelle Tunisie) ou une divinité berbère. Sous les invasions romaine et arabo-berbère, Africa représentait une partie du territoire d’Afrique du nord : Tunisie, Est de l’Algérie, Ouest de la Lybie et le Maroc(Le Maghreb actuel). Bien plus tard, avec l’aide des flottes européennes qui avaient pu définir les contours de la côte africaine, la dénotation de  Africa va donc être peu à peu élargie à la totalité du continent, dès lors qu’ils  connaissaient mieux la forme dudit continent[2]. Ce qui marque la fin du compartiment de l’Afrique (démembrement entre l’Afrique du nord, l’Egypte,  l’Afrique subsaharienne) et le début de sa (re)présentation comme une unité.

 

      II.            Le panafricanisme : des Amériques à l’Afrique

 

                Dans l’histoire du panafricanisme et de la trajectoire qu’il emprunte, la Conférence de Bandung, en Indonésie, en 1955, va  jouer un rôle déterminant.

 

1.       La Conférence de Bandung

 

                Décrite comme « l’aurore » par le géographe Yves Lacoste, comme « une fête en brun, jaune et noir où les visages blancs sont absents » par  l’historien français Jean Lacouture, ou encore comme « le réveil des peuples colonisés » par Odette Guitard, la Conférence de Bandung s’est constituée en une véritable rencontre, un rendez-vous donné par des Asiatiques et des Africains pour parler d’une seule et même voix et exiger la fin du colonialisme, de l’impérialisme afin que ces pays accèdent  à la liberté et à l’indépendance. Présent à ce « tournant de l’histoire », Kwame Nkrumah, héritier du panafricanisme de W.E. Du Bois, mettra un point d’honneur sur la spécificité de la souveraineté de l’Afrique:

                « La cause des Africains est partout une avec la cause de tous les peuples du monde, descendants des Africains. [...] Unité, liberté, indépendance, démocratie – cela devrait être notre mot d’ordre, notre idéal. [...] Le temps est venu de nous rappeler notre Mère Afrique et de bâtir pour elle un futur glorieux et indépendant » (The African Interpreter, été 1943).

Cette citation de Kwame Nkruma nous amène à examiner le panafricanisme en Afrique, porté à bout de bras par les Africains et pour l’Afrique. Car, d’après l’historiographie africaine, Kwame Nkrumah devenu  activiste, principale figure et penseur du panafricanisme avec un  texte tel que l’Afrique doit s’unir (1963) est celui qui fait le lien entre le panafricanisme impulsé de l’extérieur par la diaspora et ce que va devenir le panafricanisme lorsqu’il va se continentaliser, donc se rapatrier dans le continent africain (S. Bachir Diagne, 2017).

 

    III.            Kwame Nrumah : Internalisation et continentalisation du panafricanisme. Appropriation du projet et construction de l’Afrique comme une totalité.

 

                Africa qui avait été désigné, baptisé de l’extérieur par des Européens va désormais se penser et se construire par des Africains sur le continent.  Ils vont de ce fait s’approprier le concept Africa pour signifier leur présence au monde et surtout pour construire leur unité. Dans cette vision, le panafricanisme dont les racines se trouvent dans la diaspora (1900) devient en Afrique, un concept- programme-actions qui vise au consciencisme, c’est-à-dire que le panafricanisme soit adapté à la réalité africaine. L'Afrique, dès les débuts du panafricanisme, est une priorité pour les panafricanistes, de Sylvester Williams à W.E.B. Du Bois, voire dans le garveyisme qui en fait le point central avec la doctrine du retour. Á ce niveau, nous signifions au lecteur que la notion de retour a été analysée dans le mémoire qui a constitué le dossier de notre habilitation à diriger des recherches, dont le titre est « De Aimé Césaire à Lydia Cabrera. Le concept nègre entre histoire et mémoire » (2013). L’idée du retour en Afrique n’a jamais cessé d’habiter les Africains rendus esclaves dans les Amériques et aux Antilles. Edouard Glissant explique bien cet état de fait : « La première pulsion d’une population transplantée, qui n’est pas sûre de maintenir au lieu de son transbord l’ancien ordre de ses valeurs, est le Retour ». Mais avant cela, nous pouvons lire chez l’écrivain et le penseur Martiniquais ce qui suit :

                « Je crois que ce qui fait cette différence entre un peuple qui se continue ailleurs, qui maintient l’Être, et une population qui se change ailleurs en un autre peuple (sans pourtant qu’elle succombe aux réductions de l’Autre) et qui entre ainsi dans la variance toujours recommencée de la Relation, c’est que cette population-ci n’a pas emporté avec elle ni continué collectivement les techniques d’existence ou de survie matérielles et spirituelle qu’elle avait pratiquées avant son transbord » (E. Glissant, 1997 ;42).

                E. Glissant fait l’état de la dépossession généralisée imposée aux esclaves déportés dans les colonies par la traite atlantique. Dépossession physique, mais aussi spirituelle, puisque l’arrachement à la terre originelle équivaut pour l’esclave à une rupture avec son passé, son histoire, et ses pratiques culturelles, parmi lesquelles se distingue en particulier la question du mythe (Marine Cellier, 2017). Le retour à/en Afrique devient un mythe construit par les esclaves noirs et leurs descendants pour se reconstruire leur histoire sur la base  des traces, des réminiscences. Des exemples de ce retour sont bien présents dans la littérature américaine et antillaise[3] : lorsqu’un esclave mourait, il disait qu’il retournait en Guinée, en Afrique. Á cause de la défaillance de la mémoire, avec le temps, les esclaves et leurs descendants vont se référer à l’Afrique comme une totalité.

 

1.       La lutte en cours en Afrique

 

                Nous empruntons le sous- titre au philosophe Charles Romain Mbele.

L’Afrique représentait donc dans l'imaginaire panafricain une sorte de terre promise. Il faudrait que cette terre promise soit libérée afin que soit libéré le Noir de la diaspora.

D’après Kader Stéphane Dabiré (Mémoire de Maîtrise, 2017) l’influence des Afro-Africains dans le mouvement panafricain commence, en vérité, dès le quatrième congrès panafricain (1927)[4], à la fois par une volonté absolue des Afro-Caribéens et des Afro-Américains d'inclure aux combats du panafricanisme leurs frères d'Afrique, et d'autre part, par la volonté absolue également des Afro-Africains de trouver et d'embrasser cette solidarité et cette union pour initier un processus de libération commune.

                L’histoire du panafricanisme fait mention à part du cinquième congrès panafricain de Manchester qui s'est tenu du 13 au 21 octobre 1945 comme le note George Padmore qui affirme que:

                « Le panafricanisme était entré dans une phase nouvelle, celle de l'action positive. L'efficacité de cette action dépendait du degré auquel les peuples africains étaient organisés. L'organisation est la clé qui ouvre le chemin de la liberté. Sans l'appui actif des gens du peuple, les intellectuels restent isolés et sans efficacité. Voilà pourquoi le cinquième Congrès, dans sa «Déclaration aux Coloniaux », souligna l'importance de former un front uni entre les intellectuels les ouvriers et les cultivateurs dans la lutte contre le colonialisme. Le Congrès proclama sa foi dans le droit de tous de se gouverner eux -mêmes »[5]

                Kwamé Nkrumah qui se trouve être une des figures majeures du congrès de 1945 à Manchester, dernier congrès à se tenir hors du continent africain, devient  la voie/ voix entre la diaspora africaine et le rapatriement dudit projet en Afrique. Dans la ligne de W.E.B. Du Bois, Kwamé Nkrumah est guidé par le leitmotiv «Africa united » qui traduit le lien profond entre l’émancipation du continent et son unité. L’on comprendra aisément que la nouvelle version du panafricanisme continental est axée sur les indépendances en Afrique.  Une vision et un projet qui seront partagés par d’autres  africains  anticolonialistes et panafricanistes tels que Sékou Touré (Guinée-Conakry), Jomo Kenyatta (Kenya) et surtout Julius Nyerere (Tanzanie) en Afrique australe et orientale. Ces leaders sont tous les chefs d'un mouvement anticolonialiste dans leur pays, et leur point commun, c'est la vision d'une union politique supranationale, dès les indépendances acquises, comme la solution aux problèmes de l'Afrique (K.S.Dabiré, op.cit p.89).

                Dans ce contexte, le Gold Coast devient en 1957 le premier pays d’Afrique noire à être indépendant, avec comme président Kwamé Nkrumah qui choisit de reprendre le nom d’un ancien royaume africain : Ghana. Car pour les leaders panafricains, le premier pas de l'indépendance est de détruire l’héritage colonial qui érige, essentiellement les murs de la division entre Africains et cela, afin de retrouver cet espace sans barrières qui correspondait à  1 'Afrique précoloniale. Puis, c’est au tour de  la Guinée, qui dira non au référendum de 1958 pour l’entrée dans la communauté française, de proclamer son dépendance la même année. Et à partir de l’unité de ces pays cités, l’on pouvait considérer que le panafricanisme était en marche. En 1960, la quasi-totalité des pays africains accédèrent à l’indépendance, sans toutefois être décolonisés.

 

    IV.             Évocation de Africa dans la poétique de Pierre Claver Nzeng : poésicratie et consciencisme

 

                La poésicratie, selon Sabine Mievilly Relmy (2017), est le lien établi entre la poésie et la politique. Dans cette partie de notre réflexion, nous allons découvrir combien le texte Africa est une poésie engagée, c’est-à-dire qu’elle dépasse le simple divertissement pour se constituer en ce que Victor Hugo a appelé « « un art du progrès »[6].

                La poésie, étant un moyen de transmission d’un savoir ou d’une expérience, est capable d’amorcer un changement idéologique, faisant du poète un artisan de la construction sociale.

Le consciencisme (1964) constituait la première entreprise globale et progressiste de systématisation des faits et des fins que les Etats négro-africains indépendants, mais toujours menacés et vulnérables, avaient à organiser et à accomplir. Fondé sur le matérialisme dialectique, le consciencisme pose les bases théoriques de la révolution sociale en Afrique. Il dégage au niveau conceptuel la motrice d’une pratique qui amènera « la conscience africaine » à intégrer, sans s’y perdre, les forces qui la travaillent contradictoirement. Autrement dit, le consciencisme est l’ensemble de l’organisation des forces qui permettent à la société africaine d’assimiler les éléments occidentaux, musulmans et euro-chrétiens présents en Afrique et de les transformer de façon qu’ils s’insèrent dans la personnalité africaine.

                C’est chez Charles Romain Mbele que nous trouvons des objets du consciencisme tels que nous pouvons clairement le comprendre pour les besoins du présent article. Dans Panafricanisme ou Postcolonialisme ? La lutte en cours en Afrique, « pastiche » du titre de George  Padmore(1903-1959) : Panafricanisme  ou communisme ? La prochaine lutte pour l’Afrique (1961) : «  Le consciencisme est une philosophie et une idéologie pour la décolonisation et le développement, avec une référence particulière à la Révolution africaine qui signifie la double visée de la liberté réelle et de la maîtrise du monde (pp. 95-96).

 

1.       Africa : texte [7]

 

Éé bingoñ éboulou mekiñ m’atane  ane vé ana

Otoñ  ombe menzime é moñ anvam mayi mayié

Dzingôl enga kour engoma zagane me bera woloñ oyenga

Oyenga  ongaloñ nzañ  engueñ ényiñ enga tare ényiñ

Nkrumah onga ligh metele nseñ ve vuareghe me nyól

Cabral  onga ligh mayié me wolé a né

 

Ya zôm se ki môr zôm ya’ akoum se ki môr akoum

Y a fili se ki môr fili a moñ ye Africa

Eloñloñ nyôk éé éé mayi mayi éé (2x)

Eé minsseñ éboulé metegh mayale a ne vé ana

Oloñ ombe biyo éé kone ngui é maye wa siéé

Akore ya Namibie akelekuiñ Guinée Bissau

Togh ne si Angola é a bôr éé z’aanéé

Bene  mi bele angouare fa

Nghe ki  ve bo’ane emvila mban

Emore  nya zomane menga bi beñ yüi colonia

Mboñ yémou éé éé mayi mayié (2x)

 

O Africa ota’ ane ba labane we si, keghe wok oloun é Afica Afica

O Africa ota’a ane ba labane wa’akouma, ke’e wok oloun é Africa Africa

O Africa ota’a ane ba labane wa ndziene, kee wok oloun é Africa Africa

O Moñ ye Olong ota’a ane ba zamane we nsoan, keghe wok oloune é Africa Africa

 

Refrain

Bobezañ bega ke bita akale be veghe si Africa é

A Zame abele eniñ bia kome na ove be ngul zia

Avale bia tère Afrique de l’ouest é de fe bia tère Afrique de l’Est

Bobezañ bega ke bita akale be fere si Africa é

A ta messè melough biao me na ovee ngul zia

Avale ba ake ba labane akoume, ede fe bake ba zamane ntoun

Bobezañ bega ke bita akale be veghe  si Africa é

Emane mane bor bia komo na ove be ngul zia

Engeng bia ke bi abague metsi, ba’a bake bakare menda

Bobezañ bega ke bita akale be fere si Africa é

Ebore besse ba yiane bia kome na ove be ngul zia

Na bia bi bene bi bier akoum da’a

Na bia biene bikom émame ma’a

Na bia bi bene bi dzi bidzi bia

Engongol 000 a mbo’o dzam éé (4x)

                Pierre Claver Zeng (1953-2010) se présente comme l’un des plus grands interprètes de l’Afrique centrale, un poète- chanteur. Né dans la neuvième province du Gabon, Pierre Claver Zeng est de culture fang, culture dans laquelle il puise l’histoire et la mémoire qui fondent et construisent son art poétique. P.C.Zeng, à son effectif, a composé près d’une cinquantaine de chansons, mêlant rythmes, sonorités traditionnelles et modernes. Nous rappellerons qu’il était également un homme politique de son pays le Gabon et très  orienté dans des problématiques du continent africain. Le poète prend conscience de son origine, de son appartenance à la société et au monde de son temps. C’est dans ce contexte de renonciation d’être un simple spectateur que P.C.Zeng va penser Africa comme un cri d’insurrection, un appel au rassemblement pour défendre le continent  contre la « Colonia » (la colonisation).

Le texte peut être réparti en cinq strophes et notre intérêt porte sur les thématiques qui y sont contenues.

                Dans le premier temps du texte poétique ou de la chanson, le poète convoque tous ceux et toutes celles qui peuvent donner leurs voix et donner de la voie à s’unir pour combattre ce qu’il appelle La Colonia. Africa est chantée dans les années 70-80. Au vu des évènements qui caractérisent ces années sus-citées, la mémoire du panafricanisme et du consciencisme est revisitée et actualisée :

 

 Éé bingoñ éboulou mekiñ m’atane  ane vé ana

Oh chanteurs, politiques et sociétés civiles où vous trouvez vous ?

 Nkrumah  onga ligh metele nseñ ve vuareghe me nyól

   Nrumah, tu m’as laissé debout seul dans la cour, le corps fatigué

  Avala onga ligh mayié me wolé a né

  Toujours en pleurs comme en ton temps, je me meurs ma mère

Nous disions tantôt que la situation dans toute l’Afrique est chaotique, aussi bien dans les pays qui ont connu leurs indépendances en 1957, 1958, 1960 que ceux qui continuent d’être sous le joug des puissances coloniales :

Akore ya Namibie akelekuiñ Guinée Bissau

Depuis la Namibie jusqu’en Guinée Bissau

Togh ne si Angola é a bôr éé z’aanéé

Voire même jusqu’à la terre de la Namibie, venez et réunissons-nous.

Quelle est donc la situation de l’Afrique dans les années 70-80 ?

 

 

 

 

2.       ….Et contexte

 

                Bien qu’indépendants, le Ghana et la Guinée Bissau continuent d’être vulnérables, menacés, successivement par les Britanniques et les Portugais. La période couvrant 1963-1980 est une période trouble et instable pour l’Afrique. Certains pays vont connaître des conflits : Congo, Mozambique, Angola, Nigéria, Namibie, Cap vert, Sahara occidental, Zimbabwé, Ethiopie. Certains conflits étaient inscrits dans les guerres de libération.  D’autres, des schismes politiques en réalité, avaient été l’œuvre des puissances coloniales. Tout ceci dans le but d’affaiblir les nouveaux états (Nkrumah, 41).

Face à cette situation, la réponse devait être  le panafricanisme, l’union des forces pour une véritable indépendance, car pour Nkrumah :

« le neocolonialisme, comme le colonialisme avant lui est une tentative d’exportation des conflits sociaux des pays capitalistes. L’essence donc du néocolonialisme c’est que  l’Etat assujetti et théoriquement indépendant possède tous les insignes de la souveraineté sur le lan international. Mais en réalité, son économie et sa politique sont manipulées de l’extérieur. Du coup, l’indépendance africaine reste une chimère » (Nkrumah, 1964 ; 9)

                Il faut dire que la convocation, l’appel lancé par le poète gabonais pour combattre la colonisation et libérer l’Afrique a été entendu et relayé. Le panafricanisme s’internalise et se continentalise, de façon efficiente et consciente, avec des chanteurs tels que Alpha Blondy, Tiken Jah Fakoly, Bob Marley, Franklin Boukaka, Tounkara Djelimady, Pierre Claver Akendengue, Fela Kuti,

Myriam Makeba et Manu Dibango pour ne citer que ceux-là. La musique est utilisée à des fins de mobilisation, avec des chants associés à la communication avec des ancêtres, dotés de paroles révolutionnaires tout en proclamant une africanité autonome :

 

Bene  mi bele angouare fa

Prenez de vieilles machettes

Nghe ki  ve bo’ane emvila mban

Construisez des arbalettes

Emore  nya zomane menga, bi beñ yüi colonia

Apportez des fusils pour que nous tuions la colonia (nous débarrasser de la colonisation)

Mboñ yémou éé éé mayi mayié (2x)

O Africa ota’ ane ba labane we si, keghe wok oloun é Afica Afica

Afrique, vois-tu comment ta terre est-elle exploitée sans vergogne, et tu ne te fâches pas ?

O Africa ota’a ane ba labane wa’akouma, ke’e wok oloun é Africa Africa

Afrique, vois-tu tes richesses exploitées sans vergogne, et tu ne te fâches pas ?

O Africa ota’a ane ba labane wa ndziene, kee wok oloun é Africa Africa

  Afrique, vois-tu tes récoltes exploitées, et tu ne te fâches pas ?

O Moñ ye Olong ota’a ane ba zamane we nsoan, keghe wok oloune é Africa Africa

Enfant des Muses, vois- tu en quoi t ont-ils transformé, et tu ne te fâches pas ?

Pierre Claver Zeng s’interroge sur le silence observé par les Africains, face aux colons, à ces intrus. Ils sont entrés en terre africaine par infraction, sans y être invités et en éventrant les portes du continent :

 Engeng bia ke bi abague metsi, ba’a bake bakare menda

Pendant que nous abattons les plantations, à leur tour ils détruisent les maisons.

L’attitude silencieuse, « l’affreuse inanité de la raison d’être des Africains » avait été relevée, en son temps, par Aimé Césaire : « Dans cette ville inerte, cette foule désolée sous le soleil, ne participant à rien de ce qui s’exprime, s’affirme, se libère au grand jour de cette terre même » (Aimé Césaire, 1971, 39).

                A travers son appel,  P.C. Zeng,  rappelle qu’il faut vivifier le panafricanisme car « citoyens d’un pays libre, les Africains continuent d’être traités comme des esclaves ».

La colonisation est dévastatrice. D’où l’équation posée Aimé Césaire : Colonisation = chosification. Entre colonisateur et colonisé, il n’y a de place que pour la corvée, l’intimidation, la pression, la police, l’impôt, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies (A. Césaire, 2004 ; 23).

Notre liberté, écrivait Kwame Nkrumah, est en danger tant que les Etats indépendants d’Afrique sont désuni (…) Si nous n’opposons pas à cette menace évidente et très grave un front africain uni, fondé sur une politique économique et militaire commune, la stratégie des autres nous séparera et nous détruira l’un après l’autre. Notre principal rempart contre ces sinistres menaces et les divers autres desseins des néo-colonialistes est notre union politique. Si nous voulons rester libres, si nous voulons bénéficier pleinement des abondantes ressources de l’Afrique, nous devons nous unir pour organier notre parfaite défense et l’exploitation systématique de notre potentiel matériel et humain, dans l’intérêt de tous nos peuples. Faire cavalier  seul serait limiter notre horizon, ruiner d’avance nos espoirs et compromettre notre liberté (Kwame Nkrumah, 1994 ; 16)

 

Avale ba ake ba labane akoume, ede fe bake ba zamane ntoun

Ils se ruent sur nos richesses à l’aide des discours trompeurs

Bobezañ bega ke bita akale be veghe  si Africa é

Nos frères ont lutté pour que l’Afrique appartienne aux Africains

Emane mane bor bia komo na ove be ngul zia

Que les manes leur accordent la forcé nécessaire

Engeng bia ke bi abague metsi, ba’a bake bakare menda

 Pendant que nous abattons les plantations, à leur tour ils détruisent les maisons

Bobezañ bega ke bita akale be fere si Africa é

Nos frères ont lutté pour que l’Afrique appartienne aux Africains

Ebore besse ba yiane bia kome na ove be ngul zia

Que l’Afrique entière se lève pour les encourager.

                Pour Pierre Claver Zeng, les Africains ne doivent pas oublier les premiers panafricanistes qui ont combattu pour libérer l’Afrique. Hommage leur est rendu car ils se sont constitués en conscience pour les générations actuelles et celles à venir. Le poète s’érige en éveilleur de consciences, en conteur et en prophète.

                L’Afrique entière doit se lever afin que les Africains profitent, jouissent de leurs richesses (matières premières), de leurs produits agricoles, gages d’une véritable indépendance. Car le constat est amer ; la plupart des pays ont accédé à l’indépendance sans être décolonisés. L’émancipation n’est pas que politique, elle est aussi économique, sociale, culturelle et mentale. Nous ne pouvons clore cette partie de notre analyse sans faire mention de l’auteur des romans Peau noire masques blancs (1952) et Les Damnés de la terre (1961), un des grands précurseurs de l’Afrique en marche. En effet, Frantz Fanon (1925-1961), médecin psychiatre, intellectuel antillais avait, dans l’expérience algérienne[8], étudié la nature et le comportement du colonisé. Il arrive à la conclusion que c’est la colonisation qui entraine une dépersonnalisation (O Moñ ye Olong ota’a ane ba zamane we nsoan), qui fait de l’homme colonisé un être infantilisé, opprimé et rejeté (F. Fanon, 1964).

 

Conclusion

 

               

 

Références bibliographiques

Akue,  (J.Y), « Simon Bolivar, Kwamé et la problématique contemporaine de l’unité continentale des pays latino et africains ». Thèse de doctorat, Limoges. 2009.

Benabou, (M), La résistance africaine à la romanisation. Paris, La Découverte. 2005.

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[1] Benito Sylvain, Rapport sur la 1ere conférence panafricaine de Londres, en 1900. http//www. Google, consulté le 26/06/2020.

 

 

[3] Alejo Carpentier, El reino de este mundo, Seix Barral, Barcelone, 2007 [1949] ; Le Royaume de ce monde, traduit par L.F Durand, Paris, Gallimard, 1954.

[4] On rappelle que les différents congrès organisés militaient ppour la décolonisation en Afriqque et aux Antilles

Congrès 1 : 1919 ; Paris, Londres, Bruxelles

Congrès 2 :1921 ; Paris, Bruxelles

Congrès 3 :1923 ; Londres, Lisbonne

Congrès4 : 1927 ; New york

[6]Victor-Marie Hugo (26 février 1802 - 22 mai 1885) est un écrivain, dramaturge, poète, homme politique, académicien et intellectuel engagé français, considéré comme l'un des plus importants écrivains romantiques de langue française. Nous donnons ici à lire la citation en entier sur l’utilité de l’Art :

« L'art pour l'art peut être beau, mais l'art pour le progrès est plus beau encore. »

[7] La transcription du chant en langue fang nous incombe, en collaboration avec Livanne Ntsame Mvé, sur la base du dictionnaire fang-français et français –fang de Samuel Galley (1964)

[8] Frantz Fanon, Pour la révolution africaine. Ecrits politiques. Paris, Présence africaine, 1964

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