Du panafricanisme et du consciencisme dans la poétique de la relation de Pierre Claver Zeng
Par Elisabeth Oyane Megnier
Université Omar Bongo
Hé
bigong éboulou meking ma’atan a ne ve ana…
Ces
nouveaux espaces de la parole font la beauté et la grandeur de toute œuvre
d’art. Par la création, l’artiste devient un homme irréductiblement libre car
il vit parfois des expériences insoupçonnées qu’il tente de partager avec son
public. C’est par ce biais qu’il libère l’homme bâillonné. J’ai non seulement
ouvert de nouveaux espaces de la parole, mais j’ai aussi fait découvrir des lieux
mythiques quelques peu oubliés.
Pierre
Claver Zeng, 2001,106
Introduction
Questionner l’Afrique dans la chanson
gabonaise est un moment qui s’invite, aussi bien à l’auteur de la présente
contribution qu’au lecteur à venir, pour rappeler la mémoire culturelle et historique
de cette communauté d’appartenance et de destins croisés et parallèles, qui s’inscrit
entre ruptures et continuités. Dans cette optique, et au travers du texte
poétique Africa de l’artiste gabonais
Pierre Claver Zeng, nous venons convoquer les concepts de panafricanisme et de
consciencisme qui rendent compte de la réalité de la résistance et de la
dissidence, dans une Afrique post-coloniale. Pourquoi l’inscription du
panafricanisme et du consciencisme ? Parce que le poète mentionne le nom de Nkrumah
dans l’incipit. Revisiter donc les
théories et idéologies de panafricanisme et de consciencisme internalisées et
continentalisées par Kwamé Nkrumah, au travers de la poétique de Pierre Claver
Zeng, notament de la chanson Africa, comporte deux intérêts. Le premier étant
de comprendre comment le poète, l’artiste participe-t-il à l’ensemble de la vie
intellectuelle, socio-historique et mémorielle pour le bonheur de l’homme noir,
dans ce cas précis. Le deuxième intérêt repose sur la question suivante :
Comment, dans un contexte de globalisation, de l’affirmation des peuples et
surtout de circulation des cultures, (re) penser l’Afrique ? Une Afrique en mouvement et de plus en plus
jeune. S’inscrivant dans une démarche dialectique qui s’appuie elle-même sur un
examen rétrospectif, notre réflexion se fera en deux temps. Il s’agit d’abord d’examiner
la poétique de Pierre Claver Zeng , le texte et le contexte, puis d’interroger
le panafricanisme et le consciencisme à
travers ladite poétique de P.C. Zeng .
I.
Origines africaine-américaine et antillaise du
Panafricanisme
Dans
cette partie de notre étude, la définition des concepts de panafricanisme,
consciencisme et l’origine de Africa qui sous-tendent la présente étude
s’imposent comme préalables pour comprendre et justifier l’analyse qui suivra.
Le rappel des origines du projet et sa trajectoire suivront. L’internalisation
du panafricanisme et la construction de l’Afrique comme une totalité viendra
mettre un terme à cette partie.
1.
Cadre conceptuel et historique
Des Africains-Américains
(descendants d’esclaves) tels que Edward Wilmot Blyden (1832-1912), Marcus Garvey
(1886-1940) et William Edward Burghardt Du Bois (1868-1963) qui ont conçu le mouvement
et défini les objectifs rapportent que le panafricanisme surgit comme une
manifestation de solidarité fraternelle entre Africains et peuples d’ascendance
africaine. Pensé à partir du Panaméricanisme et du Panégrisme, le
panafricanisme va devenir à la fois raciale et un mouvement d’action pour
personnes d’une origine commune, dans un
contexte de racisme anti noir.
Après l’esclavage
des Africains, après la traite négrière et malgré les luttes pour les
indépendances en Amérique et aux Antilles, la problématique du Noir continue de
se constituer en obstacle pour l’accès à la citoyenneté. Ainsi que le rapporte au
début du XXe siècle ces écrits de Benito Sylvain (1868-1915), homme politique
haïtien, s’adressant à Antênor Firmin, un autre homme politique haïtien :
« Éminent et cher compatriote, Sûr de
trouver en vous, avec l’encouragement qui réconforte, le Conseil judicieux qui
assure la réussite, je viens vous communiquer un projet dont la réalisation
peut, je crois, faire avancer d’un grand pas, l’œuvre de la réhabilitation de
la race noire, œuvre qui vous tient à cœur et à laquelle, vous ne l’ignorez
pas, je me suis voué corps et âme.
Les détracteurs de notre race
sont de deux sortes :
Ceux qui, incapables de
rechercher le pourquoi et le comment dont s’étonnent leur esprit borné, reçoivent
et transmettent, sans même en soupçonner la portée, les idées malheureuses que des
esclavagistes avaient tant intérêt
propager et qu’ils n’eurent pas de peine à faire accepter des masses ignorantes.
Ceux qui, étant à même de réduire à leur juste valeur les jugements
aprioristiques communément portés sur les hommes de couleur, sont retenus par
un invincible orgueil de race et suivent délibérément, au lieu de chercher à
l’arrêter. »
Face à cette situation, les descendants
d’Africains (diaspora) d’abord, et les Africains par la suite devaient réfléchir
sur leur présence au Monde :
« Non, le noir n’est point fait pour servir de
marchepied à la puissance du blanc : A tous ceux qui osent le soutenir,
nous répondons hardiment, quel que soit leur renom scientifique : « Vous
outragez l’auguste vérité de la science ! ».La race africaine compte
aujourd’hui trop d’hommes remarquables, tant par l’intelligence que par la
valeur morale, pour continuer à vivre, dans le même état de prostration, sous
le coup d’une réprobation aussi outrageante et si peu justifiée. Des savants,
pour tranquilliser la conscience de l’Europe esclavagiste, ont proclamé jadis
le dogme de l’infériorité originelle du noir ; nous en appelons de cette
sentence de la science, plus impartiale et mieux informée. »[1]
La littérature sur
le concept commente que le panafricanisme a été impulsé par les noirs des Caraïbes
et des Amériques latines, à la fois descendants d’esclaves et affranchis dans
un système d’oppression blanche. Le panafricanisme se présente donc comme une
lutte contre la domination des noirs, contre la négation de leur liberté et plus tard pour la libération de
l’Afrique, qui passe par son unification.
Il est vrai que le
panafricanisme va de pair avec le consciencisme que nous allons définir dans la
deuxième partie de notre réflexion, avec l’entrée en scène de Kwamé Nkrumah, symbole
de l’internalisation du panafricanisme sur le continent africain.
Quant au concept
Africa, le Larousse explique qu’il tire son origine du mot arabe et latin
Ifriqiya ou Ifriqiyya, Ifri désignant ou un peuple d’une portion du territoire
de Carthage (actuelle Tunisie) ou une divinité berbère. Sous les invasions
romaine et arabo-berbère, Africa représentait une partie du territoire
d’Afrique du nord : Tunisie, Est de l’Algérie, Ouest de la Lybie et le
Maroc(Le Maghreb actuel). Bien plus tard, avec l’aide des flottes européennes
qui avaient pu définir les contours de la côte africaine, la dénotation de Africa va donc être peu à peu élargie à la
totalité du continent, dès lors qu’ils
connaissaient mieux la forme dudit continent[2]. Ce
qui marque la fin du compartiment de l’Afrique (démembrement entre l’Afrique du
nord, l’Egypte, l’Afrique subsaharienne)
et le début de sa (re)présentation comme une unité.
II.
Le panafricanisme : des Amériques à l’Afrique
Dans l’histoire du
panafricanisme et de la trajectoire qu’il emprunte, la Conférence de Bandung,
en Indonésie, en 1955, va jouer un rôle
déterminant.
1. La Conférence de Bandung
Décrite comme « l’aurore »
par le géographe Yves Lacoste, comme « une fête en brun, jaune et noir où
les visages blancs sont absents » par
l’historien français Jean Lacouture, ou encore comme « le réveil
des peuples colonisés » par Odette Guitard, la Conférence de Bandung s’est
constituée en une véritable rencontre, un rendez-vous donné par des Asiatiques
et des Africains pour parler d’une seule et même voix et exiger la fin du colonialisme,
de l’impérialisme afin que ces pays accèdent
à la liberté et à l’indépendance. Présent à ce « tournant de
l’histoire », Kwame Nkrumah, héritier du panafricanisme de W.E. Du Bois,
mettra un point d’honneur sur la spécificité de la souveraineté de l’Afrique:
« La cause des Africains est partout une avec
la cause de tous les peuples du monde, descendants des Africains. [...] Unité,
liberté, indépendance, démocratie – cela devrait être notre mot d’ordre, notre
idéal. [...] Le temps est venu de nous rappeler notre Mère Afrique et de bâtir
pour elle un futur glorieux et indépendant » (The African Interpreter, été
1943).
Cette citation de Kwame Nkruma nous amène à examiner le panafricanisme
en Afrique, porté à bout de bras par les Africains et pour l’Afrique. Car,
d’après l’historiographie africaine, Kwame Nkrumah devenu activiste, principale figure et penseur du
panafricanisme avec un texte tel que l’Afrique doit s’unir (1963) est celui
qui fait le lien entre le panafricanisme impulsé de l’extérieur par la diaspora
et ce que va devenir le panafricanisme lorsqu’il va se continentaliser, donc se
rapatrier dans le continent africain (S. Bachir Diagne, 2017).
III.
Kwame Nrumah : Internalisation et continentalisation du
panafricanisme. Appropriation du projet et construction de l’Afrique comme une
totalité.
Africa qui avait
été désigné, baptisé de l’extérieur par des Européens va désormais se penser et
se construire par des Africains sur le continent. Ils vont de ce fait s’approprier le concept
Africa pour signifier leur présence au monde et surtout pour construire leur
unité. Dans cette vision, le panafricanisme dont les racines se trouvent dans
la diaspora (1900) devient en Afrique, un concept- programme-actions qui vise
au consciencisme, c’est-à-dire que le panafricanisme soit adapté à la réalité
africaine. L'Afrique, dès les débuts du panafricanisme, est une priorité pour
les panafricanistes, de Sylvester Williams à W.E.B. Du Bois, voire dans le
garveyisme qui en fait le point central avec la doctrine du retour. Á ce
niveau, nous signifions au lecteur que la notion de retour a été analysée dans le
mémoire qui a constitué le dossier de notre habilitation à diriger des
recherches, dont le titre est « De Aimé Césaire à Lydia Cabrera. Le
concept nègre entre histoire et mémoire » (2013). L’idée du retour en Afrique
n’a jamais cessé d’habiter les Africains rendus esclaves dans les Amériques et
aux Antilles. Edouard Glissant explique bien cet état de fait : « La
première pulsion d’une population transplantée, qui n’est pas sûre de maintenir
au lieu de son transbord l’ancien ordre de ses valeurs, est le Retour ».
Mais avant cela, nous pouvons lire chez l’écrivain et le penseur Martiniquais
ce qui suit :
« Je crois que ce qui fait cette différence
entre un peuple qui se continue ailleurs, qui maintient l’Être, et une
population qui se change ailleurs en un autre peuple (sans pourtant qu’elle
succombe aux réductions de l’Autre) et qui entre ainsi dans la variance
toujours recommencée de la Relation, c’est que cette population-ci n’a pas
emporté avec elle ni continué collectivement les techniques d’existence ou de
survie matérielles et spirituelle qu’elle avait pratiquées avant son transbord » (E. Glissant, 1997 ;42).
E. Glissant fait
l’état de la dépossession généralisée imposée aux esclaves déportés dans les
colonies par la traite atlantique. Dépossession physique, mais aussi
spirituelle, puisque l’arrachement à la terre originelle équivaut pour
l’esclave à une rupture avec son passé, son histoire, et ses pratiques
culturelles, parmi lesquelles se distingue en particulier la question du mythe
(Marine Cellier, 2017). Le retour à/en Afrique devient un mythe construit par
les esclaves noirs et leurs descendants pour se reconstruire leur histoire sur
la base des traces, des réminiscences.
Des exemples de ce retour sont bien présents dans la littérature américaine et
antillaise[3] : lorsqu’un esclave mourait, il disait qu’il retournait en
Guinée, en Afrique. Á cause de la défaillance de la mémoire, avec le temps, les
esclaves et leurs descendants vont se référer à l’Afrique comme une totalité.
1. La lutte en cours en Afrique
Nous empruntons le
sous- titre au philosophe Charles Romain Mbele.
L’Afrique représentait donc dans l'imaginaire panafricain une sorte de
terre promise. Il faudrait que cette terre promise soit libérée afin que soit
libéré le Noir de la diaspora.
D’après Kader Stéphane Dabiré (Mémoire de Maîtrise, 2017) l’influence
des Afro-Africains dans le mouvement panafricain commence, en vérité, dès le
quatrième congrès panafricain (1927)[4], à la
fois par une volonté absolue des Afro-Caribéens et des Afro-Américains
d'inclure aux combats du panafricanisme leurs frères d'Afrique, et d'autre
part, par la volonté absolue également des Afro-Africains de trouver et
d'embrasser cette solidarité et cette union pour initier un processus de
libération commune.
L’histoire du
panafricanisme fait mention à part du cinquième congrès panafricain de
Manchester qui s'est tenu du 13 au 21 octobre 1945 comme le note George Padmore
qui affirme que:
« Le panafricanisme était entré dans une phase
nouvelle, celle de l'action positive. L'efficacité de cette action dépendait du
degré auquel les peuples africains étaient organisés. L'organisation est la clé
qui ouvre le chemin de la liberté. Sans l'appui actif des gens du peuple, les
intellectuels restent isolés et sans efficacité. Voilà pourquoi le cinquième
Congrès, dans sa «Déclaration aux Coloniaux », souligna l'importance de former
un front uni entre les intellectuels les ouvriers et les cultivateurs dans la
lutte contre le colonialisme. Le Congrès proclama sa foi dans le droit de tous
de se gouverner eux -mêmes »[5]
Kwamé Nkrumah qui
se trouve être une des figures majeures du congrès de 1945 à Manchester,
dernier congrès à se tenir hors du continent africain, devient la voie/ voix entre la diaspora africaine et
le rapatriement dudit projet en Afrique. Dans la ligne de W.E.B. Du Bois, Kwamé
Nkrumah est guidé par le leitmotiv «Africa united » qui traduit le lien
profond entre l’émancipation du continent et son unité. L’on comprendra
aisément que la nouvelle version du panafricanisme continental est axée sur les
indépendances en Afrique. Une vision et
un projet qui seront partagés par d’autres
africains anticolonialistes et
panafricanistes tels que Sékou Touré (Guinée-Conakry), Jomo Kenyatta (Kenya) et
surtout Julius Nyerere (Tanzanie) en Afrique australe et orientale. Ces leaders
sont tous les chefs d'un mouvement anticolonialiste dans leur pays, et leur
point commun, c'est la vision d'une union politique supranationale, dès les
indépendances acquises, comme la solution aux problèmes de l'Afrique
(K.S.Dabiré, op.cit p.89).
Dans ce contexte, le
Gold Coast devient en 1957 le premier pays d’Afrique noire à être indépendant,
avec comme président Kwamé Nkrumah qui choisit de reprendre le nom d’un ancien
royaume africain : Ghana. Car pour les leaders panafricains, le premier
pas de l'indépendance est de détruire l’héritage colonial qui érige,
essentiellement les murs de la division entre Africains et cela, afin de
retrouver cet espace sans barrières qui correspondait à 1 'Afrique précoloniale. Puis, c’est au tour
de la Guinée, qui dira non au référendum
de 1958 pour l’entrée dans la communauté française, de proclamer son dépendance
la même année. Et à partir de l’unité de ces pays cités, l’on pouvait
considérer que le panafricanisme était en marche. En 1960, la quasi-totalité
des pays africains accédèrent à l’indépendance, sans toutefois être
décolonisés.
IV.
Évocation de Africa dans la
poétique de Pierre Claver Nzeng : poésicratie et consciencisme
La poésicratie,
selon Sabine Mievilly Relmy (2017), est le lien établi entre la poésie et la
politique. Dans cette partie de notre réflexion, nous allons découvrir combien
le texte Africa est une poésie engagée, c’est-à-dire qu’elle dépasse le simple
divertissement pour se constituer en ce que Victor Hugo a appelé « « un
art du progrès »[6].
La poésie, étant
un moyen de transmission d’un savoir ou d’une expérience, est capable d’amorcer
un changement idéologique, faisant du poète un artisan de la construction
sociale.
Le consciencisme (1964) constituait la première entreprise globale et progressiste
de systématisation des faits et des fins que les Etats négro-africains indépendants,
mais toujours menacés et vulnérables, avaient à organiser et à accomplir. Fondé
sur le matérialisme dialectique, le consciencisme pose les bases théoriques de
la révolution sociale en Afrique. Il dégage au niveau conceptuel la motrice
d’une pratique qui amènera « la conscience africaine » à intégrer,
sans s’y perdre, les forces qui la travaillent contradictoirement. Autrement
dit, le consciencisme est l’ensemble de l’organisation des forces qui permettent
à la société africaine d’assimiler les éléments occidentaux, musulmans et
euro-chrétiens présents en Afrique et de les transformer de façon qu’ils
s’insèrent dans la personnalité africaine.
C’est chez Charles
Romain Mbele que nous trouvons des objets du consciencisme tels que nous
pouvons clairement le comprendre pour les besoins du présent article. Dans Panafricanisme ou Postcolonialisme ? La
lutte en cours en Afrique, « pastiche » du titre de George Padmore(1903-1959) : Panafricanisme ou communisme ? La prochaine lutte pour
l’Afrique (1961) : « Le consciencisme est une philosophie et une
idéologie pour la décolonisation et le développement, avec une référence
particulière à la Révolution africaine qui signifie la double visée de la
liberté réelle et de la maîtrise du monde (pp. 95-96).
1. Africa : texte [7]
Éé bingoñ éboulou mekiñ
m’atane ane vé ana
Otoñ ombe menzime é moñ anvam mayi mayié
Dzingôl
enga kour engoma zagane me bera woloñ oyenga
Oyenga ongaloñ nzañ engueñ ényiñ enga tare ényiñ
Nkrumah
onga ligh metele nseñ ve vuareghe me nyól
Cabral
onga ligh mayié me wolé a né
Ya
zôm se ki môr zôm ya’ akoum se ki môr akoum
Y
a fili se ki môr fili a moñ ye Africa
Eloñloñ
nyôk éé éé mayi mayi éé (2x)
Eé minsseñ éboulé metegh
mayale a ne vé ana
Oloñ ombe biyo éé kone ngui é
maye wa siéé
Akore ya Namibie akelekuiñ
Guinée Bissau
Togh ne si Angola é a bôr éé z’aanéé
Bene
mi bele angouare fa
Nghe
ki ve bo’ane emvila mban
Emore nya zomane menga bi beñ yüi colonia
Mboñ
yémou éé éé mayi mayié
(2x)
O
Africa ota’ ane ba labane we si, keghe wok oloun é Afica Afica
O
Africa ota’a ane ba labane wa’akouma, ke’e wok oloun é Africa Africa
O
Africa ota’a ane ba labane wa ndziene, kee wok oloun é Africa Africa
O
Moñ ye Olong ota’a ane ba zamane we nsoan, keghe wok oloune é Africa Africa
Refrain
Bobezañ
bega ke bita akale be veghe si Africa é
A
Zame abele eniñ bia kome na ove be ngul zia
Avale bia tère Afrique de
l’ouest é de fe bia tère Afrique de l’Est
Bobezañ
bega ke bita akale be fere si Africa é
A
ta messè melough biao me na ovee ngul zia
Avale
ba ake ba labane akoume, ede fe bake ba zamane ntoun
Bobezañ
bega ke bita akale be veghe si Africa é
Emane
mane bor bia komo na ove be ngul zia
Engeng
bia ke bi abague metsi, ba’a bake bakare menda
Bobezañ
bega ke bita akale be fere si Africa é
Ebore
besse ba yiane bia kome na ove be ngul zia
Na
bia bi bene bi bier akoum da’a
Na
bia biene bikom émame ma’a
Na
bia bi bene bi dzi bidzi bia
Engongol
000 a mbo’o dzam éé (4x)
Pierre Claver Zeng
(1953-2010) se présente comme l’un des plus grands interprètes de l’Afrique
centrale, un poète- chanteur. Né dans la neuvième province du Gabon, Pierre
Claver Zeng est de culture fang, culture dans laquelle il puise l’histoire et
la mémoire qui fondent et construisent son art poétique. P.C.Zeng, à son
effectif, a composé près d’une cinquantaine de chansons, mêlant rythmes,
sonorités traditionnelles et modernes. Nous rappellerons qu’il était également
un homme politique de son pays le Gabon et très
orienté dans des problématiques du continent africain. Le poète prend
conscience de son origine, de son appartenance à la société et au monde de son
temps. C’est dans ce contexte de renonciation d’être un simple spectateur que
P.C.Zeng va penser Africa comme un
cri d’insurrection, un appel au rassemblement pour défendre le continent contre la « Colonia » (la
colonisation).
Le texte peut être réparti en cinq strophes et notre intérêt porte sur
les thématiques qui y sont contenues.
Dans le premier
temps du texte poétique ou de la chanson, le poète convoque tous ceux et toutes
celles qui peuvent donner leurs voix et donner de la voie à s’unir pour combattre
ce qu’il appelle La Colonia. Africa
est chantée dans les années 70-80. Au vu des évènements qui caractérisent ces
années sus-citées, la mémoire du panafricanisme et du consciencisme est
revisitée et actualisée :
Éé bingoñ éboulou mekiñ m’atane
ane vé ana
Oh chanteurs, politiques et sociétés civiles où vous trouvez vous ?
Nkrumah
onga ligh metele nseñ ve vuareghe me
nyól
Nrumah, tu m’as laissé debout seul dans la cour, le corps fatigué
Avala onga ligh mayié me
wolé a né
Toujours en pleurs comme en ton temps, je me meurs ma mère
Nous disions tantôt que la situation dans toute l’Afrique est
chaotique, aussi bien dans les pays qui ont connu leurs indépendances en 1957, 1958,
1960 que ceux qui continuent d’être sous le joug des puissances
coloniales :
Akore ya Namibie akelekuiñ
Guinée Bissau
Depuis la Namibie jusqu’en Guinée Bissau
Togh ne si Angola é a bôr éé
z’aanéé
Voire même jusqu’à la terre de la Namibie, venez et réunissons-nous.
Quelle est donc la situation de l’Afrique dans les années 70-80 ?
2.
….Et contexte
Bien qu’indépendants,
le Ghana et la Guinée Bissau continuent d’être vulnérables, menacés,
successivement par les Britanniques et les Portugais. La période couvrant
1963-1980 est une période trouble et instable pour l’Afrique. Certains pays
vont connaître des conflits : Congo, Mozambique, Angola, Nigéria, Namibie,
Cap vert, Sahara occidental, Zimbabwé, Ethiopie. Certains conflits étaient
inscrits dans les guerres de libération.
D’autres, des schismes politiques en réalité, avaient été l’œuvre des
puissances coloniales. Tout ceci dans le but d’affaiblir les nouveaux états
(Nkrumah, 41).
Face à cette situation, la réponse devait être le panafricanisme, l’union des forces pour une
véritable indépendance, car pour Nkrumah :
« le neocolonialisme, comme
le colonialisme avant lui est une tentative d’exportation des conflits sociaux
des pays capitalistes. L’essence donc du néocolonialisme c’est que l’Etat assujetti et théoriquement indépendant
possède tous les insignes de la souveraineté sur le lan international. Mais en
réalité, son économie et sa politique sont manipulées de l’extérieur. Du coup,
l’indépendance africaine reste une chimère » (Nkrumah,
1964 ; 9)
Il faut dire que
la convocation, l’appel lancé par le poète gabonais pour combattre la
colonisation et libérer l’Afrique a été entendu et relayé. Le panafricanisme
s’internalise et se continentalise, de façon efficiente et consciente, avec des
chanteurs tels que Alpha Blondy, Tiken Jah Fakoly, Bob Marley, Franklin
Boukaka, Tounkara Djelimady, Pierre Claver Akendengue, Fela Kuti,
Myriam Makeba et Manu Dibango pour ne citer que ceux-là. La musique est
utilisée à des fins de mobilisation, avec des chants associés à la
communication avec des ancêtres, dotés de paroles révolutionnaires tout en
proclamant une africanité autonome :
Bene mi bele angouare fa
Prenez de vieilles machettes
Nghe
ki ve bo’ane emvila mban
Construisez des arbalettes
Emore nya zomane menga, bi beñ yüi colonia
Apportez des fusils pour que nous tuions la colonia (nous débarrasser
de la colonisation)
Mboñ yémou éé éé mayi mayié (2x)
O
Africa ota’ ane ba labane we si, keghe wok oloun é Afica Afica
Afrique, vois-tu comment ta terre est-elle exploitée sans vergogne, et
tu ne te fâches pas ?
O
Africa ota’a ane ba labane wa’akouma, ke’e wok oloun é Africa Africa
Afrique, vois-tu tes richesses exploitées sans vergogne, et tu ne te
fâches pas ?
O
Africa ota’a ane ba labane wa ndziene, kee wok oloun é Africa Africa
Afrique, vois-tu tes récoltes exploitées, et tu ne te fâches pas ?
O
Moñ ye Olong ota’a ane ba zamane we nsoan, keghe wok oloune é Africa Africa
Enfant des Muses, vois- tu en quoi t ont-ils transformé, et tu ne te
fâches pas ?
Pierre Claver Zeng s’interroge sur le silence observé par les
Africains, face aux colons, à ces intrus. Ils sont entrés en terre africaine
par infraction, sans y être invités et en éventrant les portes du continent :
Engeng bia ke bi abague metsi,
ba’a bake bakare menda
Pendant que nous abattons les plantations, à leur tour ils détruisent
les maisons.
L’attitude silencieuse, « l’affreuse inanité de la raison d’être
des Africains » avait été relevée, en son temps, par Aimé Césaire : « Dans cette ville inerte, cette foule
désolée sous le soleil, ne participant à rien de ce qui s’exprime, s’affirme,
se libère au grand jour de cette terre même » (Aimé Césaire, 1971,
39).
A travers son
appel, P.C. Zeng, rappelle qu’il faut vivifier le panafricanisme
car « citoyens d’un pays libre, les Africains continuent d’être
traités comme des esclaves ».
La colonisation est dévastatrice. D’où l’équation posée Aimé
Césaire : Colonisation = chosification. Entre colonisateur et colonisé, il
n’y a de place que pour la corvée, l’intimidation, la pression, la police, l’impôt,
le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue,
la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies (A.
Césaire, 2004 ; 23).
Notre liberté, écrivait Kwame Nkrumah, est en danger tant que les Etats
indépendants d’Afrique sont désuni (…) Si nous n’opposons pas à cette menace
évidente et très grave un front africain uni, fondé sur une politique
économique et militaire commune, la stratégie des autres nous séparera et nous
détruira l’un après l’autre. Notre principal rempart contre ces sinistres menaces
et les divers autres desseins des néo-colonialistes est notre union politique.
Si nous voulons rester libres, si nous voulons bénéficier pleinement des
abondantes ressources de l’Afrique, nous devons nous unir pour organier notre
parfaite défense et l’exploitation systématique de notre potentiel matériel et
humain, dans l’intérêt de tous nos peuples. Faire cavalier seul serait limiter notre horizon, ruiner
d’avance nos espoirs et compromettre notre liberté (Kwame Nkrumah, 1994 ;
16)
Avale ba ake ba labane akoume,
ede fe bake ba zamane ntoun
Ils se ruent sur nos richesses à l’aide des discours trompeurs
Bobezañ
bega ke bita akale be veghe si Africa é
Nos frères ont lutté pour que l’Afrique appartienne aux Africains
Emane
mane bor bia komo na ove be ngul zia
Que les manes leur accordent la forcé nécessaire
Engeng
bia ke bi abague metsi, ba’a bake bakare menda
Pendant que nous abattons les plantations, à leur tour ils détruisent
les maisons
Bobezañ
bega ke bita akale be fere si Africa é
Nos frères ont lutté pour que l’Afrique appartienne aux Africains
Ebore
besse ba yiane bia kome na ove be ngul zia
Que l’Afrique entière se lève pour les encourager.
Pour Pierre Claver
Zeng, les Africains ne doivent pas oublier les premiers panafricanistes qui ont
combattu pour libérer l’Afrique. Hommage leur est rendu car ils se sont
constitués en conscience pour les générations actuelles et celles à venir. Le
poète s’érige en éveilleur de consciences, en conteur et en prophète.
L’Afrique entière
doit se lever afin que les Africains profitent, jouissent de leurs richesses
(matières premières), de leurs produits agricoles, gages d’une véritable
indépendance. Car le constat est amer ; la plupart des pays ont accédé à
l’indépendance sans être décolonisés. L’émancipation n’est pas que politique,
elle est aussi économique, sociale, culturelle et mentale. Nous ne pouvons
clore cette partie de notre analyse sans faire mention de l’auteur des romans Peau noire masques blancs (1952) et Les Damnés de la terre (1961), un des grands
précurseurs de l’Afrique en marche. En effet, Frantz Fanon (1925-1961), médecin
psychiatre, intellectuel antillais avait, dans l’expérience algérienne[8], étudié la nature et le comportement du colonisé. Il arrive à la
conclusion que c’est la colonisation qui entraine une dépersonnalisation (O Moñ ye Olong ota’a ane ba zamane we nsoan),
qui fait de l’homme colonisé un être infantilisé, opprimé et rejeté (F. Fanon,
1964).
Conclusion
Références bibliographiques
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[1] Benito Sylvain, Rapport sur la 1ere conférence panafricaine de
Londres, en 1900. http//www. Google, consulté le 26/06/2020.
[3] Alejo Carpentier, El reino de
este mundo, Seix Barral, Barcelone, 2007 [1949] ; Le Royaume de ce monde,
traduit par L.F Durand, Paris, Gallimard, 1954.
[4] On rappelle que les différents congrès organisés militaient ppour la
décolonisation en Afriqque et aux Antilles
Congrès 1 : 1919 ; Paris,
Londres, Bruxelles
Congrès 2 :1921 ; Paris,
Bruxelles
Congrès 3 :1923 ; Londres,
Lisbonne
Congrès4 : 1927 ; New york
[5] OIF. [En ligne], [s.l.], 2013, http://www.francophonie.org/IMG/pdfloif-le-mouvement
panafricaniste-au-xxe-s.pdf p.191
[6]Victor-Marie Hugo (26 février 1802 - 22 mai 1885) est un écrivain,
dramaturge, poète, homme politique, académicien et intellectuel engagé
français, considéré comme l'un des plus importants écrivains romantiques de
langue française. Nous donnons ici à lire la citation en entier sur l’utilité
de l’Art :
« L'art pour l'art peut être beau, mais
l'art pour le progrès est plus beau encore. »
[7] La transcription du chant en langue fang nous incombe, en
collaboration avec Livanne Ntsame Mvé, sur la base du dictionnaire
fang-français et français –fang de Samuel Galley (1964)
[8] Frantz Fanon, Pour la révolution
africaine. Ecrits politiques. Paris, Présence africaine, 1964